Le blog de Philippe Liria

Auteur, formateur, consultant et éditeur de français langue étrangère (FLE)

L’enseignement du français en Espagne : du plomb dans les ailes ?

Posted by Philippe Liria sur 29/02/2020

A en croire les chiffres, et après des années dans la grisaille, le français affiche plutôt une bonne santé avec son 1,5 million d’apprenants si l’on en croit l’Institut français d’Espagne. Il faut dire qu’après des années plongé dans une certaine torpeur, le français a repris son envol dans la dernière décennie. Les choses ont bien été reprises en main et depuis, les actions ne cessent de se multiplier sur l’ensemble du territoire. Ça et là, des conventions ont été signées pour que le français retrouve une certaine place dans les différents systèmes scolaires espagnols. Fin janvier, Julián Serrano, président de la Federación española de asociaciones de profesores de francés (FEAPF) signait avec l’Institut français d’Espagne une convention pour renforcer l’enseignement du français dans le pays.

 

 

 

 

Journée de formation FLE (Tolède, février 2020) – Atelier CLE animé par Jeanne Renaudin

Cela va dans le sens de ce qui se passe un peu dans chaque communauté autonome. On a vu une augmentation exponentielle des effectifs dans le primaire, grâce notamment à l’Andalousie mais aussi des chiffres, élevés, qui se maintiennent dans le secondaire. On ne peut que regretter la baisse (légère) en Bachillerato. Le succès du DELF, notamment scolaire, est aussi un indice que le français est bien portant. Avec ses quelque 30 000 candidats en 2019, le DELF en Espagne se situe vraiment dans les pays de tête. Les collèges « bilingues » vont bien et ils sont nombreux, en Andalousie bien sûr depuis déjà de très nombreuses années mais aussi, par exemple, dans la très pro-anglais Communauté de Madrid. Sans compter les 37 établissements labellisés, que l’on retrouve surtout, encore une fois, en Andalousie mais aussi à Madrid ou en Aragon. Un tel panorama peut faire croire que le titre de cet article est complètement erroné. Et pourtant, on peut se demander si le français n’est pas en train de prendre du plomb dans les ailes, en tout cas dans certaines régions.

Madrid, la religion plutôt que les langues

Récemment, on a vu en effet comment la Communauté de Madrid a l’air de préférer les heures de religion – rien d’étonnant quand on voit qui est au pouvoir – au détriment des heures de langue. Comme si parler à un dieu, quel qu’il soit, était plus important que de savoir parler des langues étrangères. Ce n’est certes qu’un projet de décret de la présidente de la Région Madrid, Isabel Díaz Ayuso, mais on peut craindre le pire surtout qu’on connaît les penchants historiques vers le tout-anglais dans les écoles madrilènes avec des programmes bilingues qui n’ont pourtant pas l’air d’avoir été très efficaces. Pourquoi le français serait-il en danger à Madrid ? Il se trouve que la présidente Ayuso propose d’augmenter les heures de sport – ce qui en apparence une bonne idée – et que, plutôt que d’aller en chercher en religion, on va les prendre dans ces matières optionnelles comme le sont les arts, l’informatique et bien sûr, la seconde langue étrangère, c’est-à-dire presque tout le temps le français. Evidemment elle le vend dans un emballage qui est dans l’air du temps en vantant les mérites de l’activité sportive, comme le recommande l’OMS. A aucun moment, elle ne s’est dit – elle ou quelqu’un d’autre de son gouvernement autonome – que c’était peut-être l’occasion de revoir le traitement que son système scolaire donne aux langues étrangères – autres que l’anglais, of course – ? C’est en tout cas une mesure absurde et qui éloigne un peu plus la Région Madrid des objectifs de faire des collégiens Madrilènes des citoyens européens pleinement plurilingues. Avec deux heures, on pouvait légitimement se demander comment atteindre le niveau A2 en fin de l’ESO mais avec une heure, c’est tout simplement impossible ! Les professeurs essaient de se mobilier : une pétition a été lancée pour essayer de freiner ce décret.

Andalousie, un combat permanent pour le maintien du français

Mais cette attaque à l’enseignement des langues étrangères, on la retrouve aussi en Andalousie. Rien de définitif non plus mais il semblerait que le français ne sera plus présent dans le primaire dès la première année et qu’à partir de la rentrée 2020, on ne le retrouverait qu’en 5è et 6è du Primaire. Une bien mauvaise nouvelle si cette information finit par être confirmée. Point positif, c’est qu’en Bachillerato, la deuxième langue étrangère obligatoire (souvent le français) est maintenue – grâce à une pétition qui a fait reculer le Gouvernement andalou -. En novembre, la presse andalouse s’était largement fait écho de la menace qui pesait sur le français. On a donc eu chaud, mais jusqu’à quand ? Andogalia, l’association andalouse des professeurs de français, est sur le pied de guerre elle aussi. Elle relaie activement sur les réseaux l’appel du 2 mars en faveur du français comme deuxième langue obligatoire et qui consiste à envoyer sur twitter un message sous les étiques #quieroestudiarfrances (je veux étudier le français) et #elfrancesnosetoca (toucher pas au français) et qui sera adressé à la ministre de l’Éducation (@CelaaIsabel) ou à son ministère (@educaciongob), ou encore aux différents ministères régionaux.

La deuxième langue étrangère, la 5è roue d’un carrosse éducatif branlant

Je n’ai fait référence qu’à la Région Madrid et à l’Andalousie mais en fait, le combat vaut pour l’ensemble des régions qui, malgré certains efforts parfois, ne misent pas vraiment sur un vrai enseignement d’une deuxième langue obligatoire dès la première année de l’ESO (tranche des 12-16 ans). Certes, le français voit ses effectifs augmenter et on ne peut que s’en réjouir mais il est clair que c’est largement insuffisant car souvent, cela se fait dans des conditions précaires, avec peu d’heures, peu de moyens financiers et humains, pas assez de formations – même si on ne peut qu’applaudir la généralisation des Journées de français sur l’ensemble du territoire -. Le français, comme la musique, les arts et d’autres matières ne sont donc que la 5è roue d’un carrosse éducatif déjà branlant et peu audacieux, comme si les autorités espagnoles ou régionales ne voyaient pas que l’anglais est loin d’être suffisant et que c’est bien du français dont auraient besoin les citoyens d’un pays ayant comme partenaires essentielles, au Sud, le Maroc, l’Algérie ou encore la Tunisie et au Nord, la France.

 

Pour en savoir plus :

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En defensa de la Segunda Lengua Extranjera en la ESO. ¡NO A LA REDUCCIÓN HORARIA DE LOS IDIOMAS EN LA ESO!

La Comunidad de Madrid provoca la alarma con la subida de horas de Educación Física

Proyecto de Decreto del Consejo de Gobierno por el que se modifica el Decreto 48/2015, de 14 de mayo, del Consejo de Gobierno, por el que se establece para la Comunidad de Madrid el currículo de la Educación Secundaria Obligatoria.

Fédération Espagnole des Associations de Professeurs de Français

La comunidad educativa rechaza el sistema de bilingüismo de la Junta

 

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