Alors que l’on a l’air de peiner à vraiment mettre en place une pédagogie du projet dans la classe de FLE, les expériences dans le domaine scolaire semblent vouloir donner raison à celles et ceux qui y croient. Je pense à cet article publié dans The Independent sur les réformes de l’école en Finlande ou à cet autre article lu dans El País et qui rapporte l’expérience que mène un collège jésuite en Catalogne.
En Finlande, on parle de reléguer les matières du moins en tant que tel – elles ne disparaissent pas vraiment comme le précise le site finnois Theconversation mais seront intégrées dans des thématiques plus globales. Les matières seront mises au service de projets interdisciplinaires, ce qui permettra ainsi de les contextualiser donc de leur donner plus de sens.
En Catalogne, c’est le collège Claver Raimat (Lleida) qui a lancé l’expérience d’une école différente dont l’apprentissage n’est plus basé sur des matières mais sur la transversalité des connaissances et des savoir-faire. Limitée à certaines classes, l’initiative, fruit d’une réflexion entre experts, enseignants, parents et bien entendu les élèves, devrait s’étendre petit à petit aux autres niveaux. L’école devient un lieu où les élèves ne répondent plus aux questions du professeur qui vérifierait s’ils ont bien appris leur leçon mais au contraire, ils cherchent à répondre à des questions qui n’ont pas encore de réponse ce qui est une véritable motivation à mobiliser ensemble (travail collaboratif) des compétences dans le but de faire car « c’est en faisant qu’on apprend ». L’élève n’est pas simplement un apprenant, il participe activement au processus créatif du projet et donc de ses propres connaissances. Comme on le fait remarquer dans l’article d’El País, il n’est pas anodin de retenir que ce changement de paradigme se produit dans un collège jésuite, l’ordre qui d’une certaine façon imposa le modèle éducatif « traditionnel » et qui pour le moment domine encore le monde éducatif mais dont les jours sont peut-être comptés.
Et c’est dans ce contexte de changement que je reviens à la classe de langue, en particulier celle de français. Voilà plus de 10 ans maintenant que nous parlons d’être plus actif en classe. La perspective actionnelle est dans la bouche de tous les experts et dans les recommandations de toutes les institutions du Réseau. Bref, parler de tâche finale ou de projet, de travail collaboratif… ce n’est absolument pas nouveau. Et pourtant, il suffit de visiter la plupart des établissements dudit Réseau pour constater que la réalité est souvent à des années-lumière des recommandations. Les outils facilitateurs ont certes fait leur entrée dans la classe depuis le manuel « actionnel » (tous les sont plus ou moins depuis 2004) jusqu’au numérique (du simple vidéoprojecteur aux tablettes et à l’accès à Internet) ; les coordinateurs ont aussi remanié les programmes et les progressions car il faut que les niveaux du CECRL soient visibles – en oubliant peut-être qu’il ne suffit pas d’indiquer ces niveaux pour que les contenus soient reflétés dans la classe ; les professeurs sont sensibilisés à la question, moins les élèves… C’est d’ailleurs un des points qu’il faudrait peut-être revoir : on ne peut prétendre changer la façon d’enseigner sans impliquer directement l’ensemble des acteurs ; or, les élèves qui proviennent souvent d’autres habitudes d’apprentissage se retrouvent tout à coup plongés dans une classe de français qui ne répond pas à l’idée qu’ils se font de la classe. Si ce changement n’est pas accompagné, il risque de provoquer le rejet avec pour conséquence une chute des effectifs que la direction de l’établissement va vouloir freiner en… revenant à de vieilles pratiques parce que « c’est ce qu’attendent nos élèves« . Curieuse façon de trouver des solutions au problème posé. Et puis, changer nos pratiques de classe, cela demande du temps, de l’implication. Difficilement compatible avec des emplois du temps qui ne prennent pas en compte la réalité de la classe : on ne peut prétendre à un enseignement de qualité, basé sur des paramètres modernes et novateurs si les enseignants doivent courir entre trois et quatre établissements, travailler avec trois ou quatre manuels différents sur trois ou quatre niveaux différents avec un total d’heures d’enseignement plus près des 40 heures que des 20 heures (celles-ci sont pour les très priviligiés, mais il n’y en a pas beaucoup dans la profession !). Alors la pédagogie du projet, si belle sur le papier, si bien mise en avant dans les manuels ces dernières années, eh bien cette pédagogie, elle passe à la trappe ! Tant pis pour le projet, on le fera… peut-être, si on a le temps. Et on revient à des outils de travail qui vont nous simplifier la vie, le manuel qu’on n’aura qu’à suivre sans se poser de question et la bonne vieille leçon de grammaire accompagnée de ses bons vieux exercices qui nous font croire que les élèves seront compétents parce qu’ils ont compris et qui font croire aux élèves qu’ils le seront parce qu’ils ont bien fait les exercices. Quel leurre !
Pouvons-nous continuer à vivre dans cette contradiction ? La classe de français, et a fortiori celle qu’on propose dans les établissements du Réseau ne peut ignorer que nous sommes au XXIè siècle et que la pédagogie à mettre en place doit être en phase avec les besoins de la société d’aujourd’hui. Pour y arriver, il faut s’en donner les moyens. Il ne faut pas renoncer aux budgets de formation. C’est bien d’avoir donné des enveloppes pour acheter des dizaines et des dizaines de TNI (qui après avoir passé un temps dans des cartons car personne n’avait pensé qu’il fallait les installer) mais il fallait aussi accompagner cette initiative fort louable d’un plan de formation pédagogique (peu en ont vraiment bénéficié) pour ne pas être utilisés comme de vulgaires tableaux blancs voire noirs). Et maintenant, c’est au tour des tablettes mais ne commettons pas les mêmes erreurs : formons les profs à une utilisation pédagogique en classe ! Il faut trouver aussi une solution pour que les enseignants de ce Réseau puissent vraiment préparer des cours « actionnels » (donc avoir du temps pour mettre en pratique ce qu’on leur explique dans les stages ou les mastères FLE). C’est aussi ce qui fait la qualité et le prestige de ces établissements, y renoncer revient à remettre en cause la raison d’être de ce Réseau. Ce serait bien dommage et je n’ose imaginer que ce serait la secrète idée qui courrait du côté de certains ministères. Alors, pour y arriver, il ne faut pas que ces changements de paradigme d’enseignement soit perçus comme une imposition venue de l’extérieur mais comme une réflexion à mener dans chaque établissement sur la façon de les introduire. Tous doivent y être impliqués, y compris les élèves. Pure utopie ? Non, condition sine qua non pour qu’on puisse véritablement changer la classe en adaptant les recommandations générales à la réalité locale, mais sans y renoncer. Cette adaptation, c’est aussi la clé du succès de l’enseignement en Finlande ou de ce collège de Lleida.