Le blog de Philippe Liria

Auteur, formateur, consultant et éditeur de français langue étrangère (FLE)

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La classe de FLE dans l’ère covidienne

Posted by Philippe Liria sur 13/12/2020

Annick Hatterer, déléguée pédagogique CLE International en plein webinaire de formation pour les professeurs de français en Roumanie (déc. 2020)

J’ai une collègue hyper démerdentielle (ou devrais-je dire “débrouillantielle” ?) : alors que son ordi allait la planter (victime d’un virus ?) à quelques minutes d’un énième webinaire, elle a réussi à faire un exercice d’équilibriste entre deux postes de travail pour que sa visio se déroule comme si de rien n’était. Heureusement, elle est certainement déjà bien vaccinée contre toutes les mauvaises surprises de ces programmes de conférences en ligne. Il s’agissait ici d’un atelier distanciel (avec un “c” comme dans distanCe). Mais faut-il encore le préciser en cette fin de l’an 1 de l’ère covidienne qui a vu mourir presque toute activité présentielle (avec un “t” contrairement à présenCe) non-essentielle ? L’éducation et la culture en ont fait les frais. Les salles (de classe ou de spectacle) seraient des clusters en puissance, nous dit-on, où il serait impossible de garantir les gestes barrières. Tout se passe donc en ligne, que ce soit synchrone ou asynchrone.

Ce temps où nos regards se croisaient pour de vrai

Il y a encore quelque temps, je n’aurais jamais pu écrire ces lignes mais en ces temps d’état d’urgence planétaire, personne n’aura eu de mal à les comprendre. C’est qu’en neuf mois, notre langage a bien changé ! Eh oui, neuf mois déjà qu’on nous explique que l’enfer, ce sont les autres et qu’il nous faut donc vivre en huis clos, confinés pour le bien de tous. Qui aurait dit qu’un jour on nous recommanderait la distanciation sociale ? Qui aurait pu dire que pour survivre nous devrions avancer masqués ? Neuf mois déjà et nous voici donc en décembre. D’habitude, c’est un mois faste, un mois de retrouvailles et d’embrassades. Il est clair pourtant que cette année restera gravée dans les fastes de ce XXIe siècle comme celle du grand bouleversement, certains diront de la réinvention, des plans B, de la démerde – comme pour ma collègue – ou de la résilience – un autre mot dont on avait parfois du mal à saisir le sens mais que le contexte pandémique nous a permis d’en comprendre toute la dimension. Neuf mois déjà et une envie de tourner la page, un peu comme si nous voulions nous convaincre – très naïvement, soyons honnêtes – qu’avec la nouvelle année, tout serait fini ; que nous pourrions entrer dans ce “nouveau monde” dont on nous parle tant mais qui ne fait guère envie au fur et à mesure qu’on en perçoit les contours. On aurait même plutôt envie de retrouver l’“ancien monde”, imparfait – certes -, mais celui qui point le sera-t-il moins ? Pas question pour autant de tomber dans un passéisme qui ne mène nulle part mais les indices du monde de demain nous font déjà regretter ce temps, si proche et si lointain déjà, où nous étions encore de vrais acteurs sociaux, un temps où communiquer et interagir ne se faisait pas uniquement par écrans interposés, où nous apprenions de l’autre et avec l’autre dans un “faire ensemble” qui passait par le contact (tactile, ô sacrilège des temps nouveaux !), des échanges de vives voix (sans masque) et où les regards se croisaient pour de vrai.   

Le FLE en 2021 : un contexte incertain

Coronavirus 2019-nCoV Concept Illustration. La Terre avec le masque de visage de respirateur et les virus de Corona dans le fond de l’espace.

Rassurez-vous, je ne fais pas une covidéprime. Je ne me laisse pas non plus emporter par la vague complotiste (je ne remets absolument pas en cause l’existence de la COVID-19 ni n’accuse un laboratoire d’être à l’origine du mal – pas plus que je n’accuse le pangolin d’ailleurs) et je ne suis pas non plus tombé dans une certaine collapsologie ambiante – la tentation parfois ne manque pas -. Il faut bien l’admettre, 2020 a quand même des airs de dystopie.

Dans ce contexte global si incertain, et comme je l’écrivais déjà au tout début de la pandémie, notre petit monde du FLE a dû apprendre dès les premiers instants à affronter cette crise en bravant maints obstacles. Il a tout fait pour se réinventer et on a vu comment la transition numérique révolutionnait les pratiques d’enseignement d’un très grand nombre. Il a fallu en effet trouver rapidement des solutions pour garantir la continuité pédagogique lorsque tout à coup l’humanité a baissé le rideau. Plongés dans un confinement brutal, inattendu mais qui ne devait surtout pas durer et dont on disait qu’il nous apporterait des jours meilleurs, apprenants, enseignants, formateurs, fournisseurs de contenu (comme les éditeurs) se sont mobilisés pour que rien ne s’arrête. Ils se sont mobilisés pour que le monde de l’apprentissage des langues (essentiel, non ?) continue à tourner, peut-être plus vraiment rond mais au moins qu’il reste en mouvement (sinon, c’est la chute). La tâche a été ardue, et l’est encore aujourd’hui. Je sais que pour certains, il ne va pas être aisé de renflouer le bateau. Les fermetures administratives ou encore l’interruption de la mobilité à l’échelle mondiale ont eu hélas raison de bien des établissements qui ont dû mettre la clé sous la porte ou d’autres qui essaient de survivre tant bien que mal avec pour horizon l’incertitude qui règne un peu partout sur la planète.

Pour un retour au présentiel

L’euphorie initiale des classes distancielles fait place à la fatigue et l’envie de retrouver du présentiel.

Très rapidement aussi, on a vu des profs de FLE refaire surface. Beaucoup se sont rapidement réinventés à travers les cours en ligne. Les Teams, les Zoom et autres plateformes n’ont plus de secret pour ces enseignants qui ont vu parfois leur activité s’internationaliser avec des apprenants du monde entier qui entraient dans leur salle de cours virtuelle. Il a fallu modifier les pratiques de classe, avoir recours à des ressources différentes, faire preuve d’une grande souplesse horaire au point parfois de faire le grand écart mais, au bout du compte, se retrouver avec un emploi du temps bien rempli. Ce qui n’est pas sans stress mais il a fallu faire du coping pour ne pas sombrer. Malgré tout, que ce soit du côté enseignant ou du côté apprenant, après tous ces mois d’écran, on sent la fatigue et la lassitude.  Il y a bien eu un moment presque d’euphorie. On aurait dit que finalement tout pouvait se faire virtuellement. Le distanciel semblait l’emporter. Peut-être est-ce le cas dans certains secteurs, quoique… mais dans le cas de l’apprentissage-enseignement des langues, et malgré l’incroyable qualité des offres en ligne, on ne peut pas passer que par le numérique. Apprendre une langue passe par le contact, mais pas un contact virtuel. Non ! Un contact réel, sans distanciation (ce qui ne veut pas dire sans précaution). Car apprendre une langue, c’est pouvoir toucher littéralement une culture, la respirer, la savourer, la vivre dans la société dans laquelle elle évolue… C’est comme ça qu’on apprend à vraiment l’aimer. La salle de classe (la vraie) est un de ces premiers espaces de contact puis le voyage et le séjour dans les pays où elle est parlée. 

Espérons que l’ère du tout-écran et des relations uniquement virtuelles prendra fin en 2021. Je ne sais pas si c’est un vaccin qui nous permettra de sortir de nos confinements ou peut-être aussi des politiques plus responsables, qui ne vivent pas seulement au rythme des courbes épidémiologiques ou qui changent d’avis en fonction de la direction des particules aérosoles. Ce qui est certain,  et comme nous sommes en période de voeux, formulons-le, il est essentiel que l’enseignement des langues, et celle du FLE en particulier puisse retrouver toute sa présence, à commencer par celle dans les salles de classe !

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Du foot dans ma classe de FLE

Posted by Philippe Liria sur 30/06/2018

Alors que j’écris ces lignes, les Bleus viennent de se qualifier pour les quarts de finale du Russia 2018. Je sais, le sport et en particulier le foot n’est pas la tasse de thé de nombreux.ses d’entre vous. Pour beaucoup, l’idée de “pouvoir regarder des millionnaires courir après un ballon” n’est pas une question polémique, contrairement à ce qu’on a récemment vu en France à cause d’un commentaire jugé déplacé d’Anne-Sophie Lapix, la présentatrice du JT de 20h, à l’occasion de l’inauguration de la Coupe du Monde 2018 en Russie. « Lamentable » le commentaire de la journaliste française ? Après tout le foot brasse effectivement beaucoup d’argent – de pognon comme dirait Macron – qui ne profite vraiment qu’à une petite minorité, c’est qui faisait écrire à Ignacio Ramonet en 2006 que le foot « constitue une métaphore de la condition humaine. » Qu’il peut être, écrivait toujours l’ancien directeur du Monde diplomatique « peste émotionnelle » ou « passion exultante » car « le football est le sport international numéro un. Mais c’est indiscutablement plus qu’un sport. Sinon il ne susciterait pas un tel ouragan de sentiments contrastés. » Un article que je vous invite à lire ou à relire, et surtout à partager avec vos élèves (à partir d’un niveau B1+/B2).   

Impossible de passer à côté

Pourtant, qu’on soit un fou de foot ou qu’on abhorre ce sport, difficile de passer à côté. Et avouons-le, alors qu’on se demande comment motiver les apprenant.e.s, nous avons ici un sujet qui délie les langues. C’est ce que j’ai d’ailleurs très vite compris quand, tout jeune prof de FLE, on m’a envoyé faire des cours à des cadres d’une grande banque catalane de la banlieue de Barcelone. La seule façon de motiver cette équipe de cadres le lundi matin, c’était bien sûr de parler des matchs de la Liga et plus généralement de l’actualité du foot. Cette motivation n’était pas complètement désintéressée ! En effet, ils voulaient savoir parler foot parce que, venant de Barcelone, le premier sujet de conversation de leurs interlocuteurs français n’était pas l’état de la bourse ou les taux d’intérêt à la hausse ou à la baisse mais bel et bien les résultats du dernier match du Barça ou les mouvements de joueurs au mercato du moment. Moi qui n’étais pas très footeux – même si mon coeur a toujours eu un penchant pour le FC Barcelona – il a bien fallu que je m’y intéresse de plus près de façon à joindre dans mes cours l’utile à l’agréable en glissant du contenu didactique à ces échanges footballistiques. Depuis, j’ai bien compris que le foot est le vrai passeport, la clé d’entrée dans de nombreuses villes ; la meilleure façon de gagner la confiance avec les chauffeurs de taxi ou les serveurs locaux, même si nous supportons des équipes différentes. Le football est une véritable activité brise-glace, dès le niveau A1 ! Et essayez donc en B2 de lancer un débat autour du vidéo-arbitrage (ou VAR si vous voulez ajouter un nouvel acronyme à votre vocabulaire) : vous verrez comme tous les éléments de l’argumentation seront naturellement mobilisés par vos étudiant.e.s ! Cet article de Thibaut Geffrotin dans Le  Point (29/06/2018) pourra même vous servir de déclencheur : Coupe du monde 2018 : arbitrage vidéo, le grand bazar !

Des pieds et de l’esprit

Malgré l’intérêt évident de passer par le foot pour motiver les élèves, il a du mal – encore aujourd’hui – à faire son entrée dans la classe de français. S’agirait-il du reflet finalement d’un rapport complexe que l’esprit cartésien, celui de la raison, semble maintenir avec l’exercice physique ? Comme si les efforts de l’esprit étaient incompatibles avec ceux du corps ! Pour mieux aborder cette question, vous pouvez (ré-)écouter l’entretien du journaliste sportif Bernard Heimermann en 2010 au sujet de Plumes et crampons, un livre co-écrit avec l’écrivain Patrick Delbourg et qui se proposait à la veille de la Coupe du monde d’Afrique du Sud d’analyser les liens entre les écrivains et le football (Un document intéressant pour la classe – niveaux B2/C1 – et qui aidera à faire réfléchir les étudiants sur cette question). On sait combien des écrivains, et pas des moindre étaient de fervents amateurs de foot. Me viennent à l’esprit Camus bien sûr ou le Catalan Vázquez Montalbán… mais ils sont bien plus nombreux comme le rappelle cet article de L’orient littéraire. Au sujet de Camus, qui avait été gardien de but (ou « goal » comme on disait à l’époque), il y a d’ailleurs eu cette superbe initiative de l’Institut français de Madrid qui, à travers l’opération Le football, une école de la vie ! a permis de rapprocher les élèves des écrits du prix Nobel de littérature.  

Du foot dans le FLE

Plus directement en lien avec le FLE, en 2016, à la veille de la Coupe d’Europe, le site FLE Les Zexperts n’avait pas voulu passer à côté de l’événement : il contribuait ainsi à faire une place au foot dans la classe en proposant une fiche pour parler de foot en FLE à partir de niveau A2. Il y a aussi les mémos de Parlons français, c’est facile qui reprend de façon imaginée le lexique du foot. 

J’imagine parfaitement une classe d’ados – et pas que – présentant à l’oral et/ou à l’écrit leurs équipes, les joueurs… Une bonne occasion pour pratiquer différentes notions d’un programme de A1/A2 en les combinant avec un sujet motivant. D’ailleurs c’était la proposition, très intéressante, qui avait été faite en 2010 à l’occasion de la Coupe du Monde en Afrique du Sud : toute une progression à partir du foot ! Oui, je parle foot !, c’est le nom du site – toujours disponible – qu’Amandine Béranger et Jérôme Cosnard avaient alors créé et qui constitue une somme de documents A1 (téléchargeables en word et en PDF), certains à prendre tel quel et d’autres qu’il faut bien sûr mettre à jour ou qui peuvent servir comme point de départ pour créer des activités similaires mises au goût du Mondial de Russie. Toujours autour de ce monde sudafricain, le Français dans le monde de mai-juin 2010 (nº369) avait consacré des pages spéciales au foot. Vous pouvez bien sûr les consulter sur le site de la revue si vous y êtes abonné.e ou retrouver un extrait sur www.issuu.com

Le point du FLE qui a consacré une page de son site au sport propose quelques liens dédiés au football. On peut simplement regretter que cette Russia 2018 n’ait pas été l’occasion d’actualiser un peu les documents pour la classe*. 

Enfin, si vous voulez commenter au fil de la Coupe ce qui s’y passe, vous pouvez vous rendre avec vos étudiants sur les sites des chaînes sportives francophones ou sur ceux de la presse écrit ou radio.

Bref, le foot, on peut aimer ou pas, mais il nous laisse rarement indifférents en raison de ses implications, sportives certes mais aussi sociales, économiques, politiques… On a même vu au Mexique , comme le rapportait récemment Anthony Bellanger dans ses Histoires du monde, que le foot peut entraîner une polémique politico-orthographique en raison des maillots de la sélection nationale : les accents des noms des joueurs avaient disparu parce que les maillots ne provenaient ni plus ni moins que des USA ! Une décision pas vraiment bien accueillie à un moment où ces deux Etats nord-américains ne traversent pas vraiment une lune de miel !  Comme quoi, au cas où certains en doutaient encore, même la langue a sa place dans le foot !

*Ami.e.s lecteur/-trices, n’hésitez pas à me partager vos liens et de m’en signaler si vous avez du matériel sur ce Mondial, je me ferai un plaisir de l’intégrer à cet article.

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Où en est le français dans le monde ?

Posted by Philippe Liria sur 29/08/2016

En été, le prof de FLE se forme
L’été touche à sa fin. Les « grandes vacances » aussi, du moins pour la plupart des profs de l’hémisphère nord mais, on le sait, le professeur de FLE est un être bizarre : il passe une très grande partie de l’année à faire bien plus que les trois huit pour joindre les deux bouts. Comment ? En donnant des cours FOS à sept heures du matin, des cours pour enfants ou ados en journée et des cours adultes en soirée… Et de plus en plus, entre cours et cours, que fait-il ? Outre préparer comme il peut le cours suivant et corriger les copies du précédent, il fait de l’hybride depuis son smartphone puis il enchaîne à pas d’heure depuis son PC portable avec un cours en ligne pour un étudiant à l’autre bout de la planète ! Jackpot penseront certains ? Eh bien, non ! Tout ça, pour des clopinettes !!! Et si certains lecteurs croient que j’exagère et que toute ressemblance avec la réalité ne serait que purement fortuite, qu’ils s’inquiètent : ils ont peut-être perdu contact avec la réalité ! Le FLE fait certes rêver. Je le sais: combien d’étudiants en parlent en imaginant leurs futures missions en terres lointaines et exotiques ?! Mais, quand on connaît la réalité du terrain, on sait ô combien le quotidien est très dur. Malgré cette vie de fous qui ne laisse guère de temps pour faire des folies – mais heureusement est pleine de petits plaisirs-, que fait le prof de FLE pendant ses vacances ? Je vous le donne en mille : il se forme ! Et l’été européen est souvent le moment choisi pour suivre l’une des nombreuses formations proposées ici et là.

Conférence Jacques Pécheur sur les scénarios actionnels- Liège 2016 (Photo: P. Liria)

Conférence Jacques Pécheur sur les scénarios actionnels- Liège 2016 (Photo: P. Liria)

Stages d’été, congrès… du FLE pour tous les goûts
Cette année n’a pas dérogé à la règle, et malgré le climat ambiant pas vraiment à la fête : les profs se sont donné rendez-vous à Nantes, Nice, Besançon ou ailleurs pour suivre l’une de ces nombreuses formations estivales avant de rentrer dans leur pays de provenance. A leur retour, ils pourront mettre en oeuvre et relayer ce qu’ils ont pu y apprendre. Cet été, en plus de ces stages, comme tous les quatre ans, les professeurs de FLE se sont retrouvés en juillet pour le grand messe qu’est le Congrès mondial des professeurs de français. Et pour cette quatorzième édition qui s’est tenue à Liège du 14 au 21 juillet, les quelque 1500 professionnels présents se sont demandés justement où en est le français. Venus de 104 pays, ils ont assisté et souvent proposé des conférences, des communications ou encore animé des présentations ou des ateliers pour mettre à jour et partager leurs connaissances, échanger sur leur pratique mais aussi sur la situation de l’enseignement du français dans leur pays. Du moins quand on leur a permis de traverser les barrages administratifs que dresse l’Europe d’aujourd’hui. Pas facile de demander de défendre les valeurs contenues, paraît-il, dans notre langue si l’on ferme la porte au nez de ceux qui justement la prennent pour étendard de leur liberté ! C’est sans doute cette triste réalité qui se rappelle à nous, même lors d’un congrès dont l’objet principal est l’enseignement. Mais il est clair qu’apprendre le français dans les deux sens du verbe n’est pas ni ne peut être un acte innocent, comme l’a réaffirmé le président du Comité organisateur, l’académicien Jean-Marie Klinkenberg dans son discours de clôture.

Conférence de clôture de J.-M. Klinkenberg - Liège 2016 (photo : P. Liria)

Conférence de clôture de J.-M. Klinkenberg – Liège 2016 (photo : P. Liria)

C’est aussi le ton de l’appel que lancent les professeurs de français dans le document final de résolutions en revendiquant clairement leur rôle dans cette lutte pour « un monde plus juste, mis à l’abri de la barbarie, respectueux des identités et des diversités« . Parce que, nous le savons tous, « la langue est un objet politique » qui véhicule des idées profondément attachées au développement et à l’émancipation des citoyens contre tout type d’oppression sociale, culturelle ou politique. Mais le prof de français, ambassadeur de ces précieuses idées, n’est souvent qu’un simple soldat de plomb, d’une armée certes nombreuse mais aux effectifs qui ne cessent de baisser comme nous l’a rappelé aussi ce congrès, et qui souvent se demande ce que font les décideurs pour éviter la fermeture des cours de français ou la précarisation permanente de la profession. Situation ardente, pour reprendre l’adjectif qui définissait le congrès, et à laquelle devra faire face la nouvelle équipe de la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF) avec à sa tête Jean-Marc Defays qui prend donc le relais de Jean-Pierre Cuq après deux mandats. Ce spécialiste du FLE qui nous vient de l’Université de Liège sera entouré, entre autres, d’une Canadienne, Cynthia EID et d’une Roumaine, Doina SPITA pour relever les nombreux défis de la Fédération (manque d’enseignants, absence de politiques en faveur du français, nouveaux besoins des associations…) et qu’on peut retrouver, du moins en partie, dans le Livre blanc présenté lors du congrès de Liège et qui prétend dresser, comme il l’annonce, « un panorama unique de l’enseignement de la langue française dans le monde« .

Des programmes pour repenser le FLE
On l’a vu aussi, le programme bien chargé du congrès – peut-être un peu trop – ou encore ceux des stages d’été sont révélateurs de ce renouvellement nécessaire. Ce qui rend encore plus indispensable la formation initiale mais surtout continue des professionnels du FLE. C’est d’ailleurs le premier point mis en avant dans les résolutions du Congrès. Si la langue française est, et prétend rester, ardente, donc bel et bien vivante, il faut qu’elle s’adapte aux réalités du monde d’aujourd’hui et puisse être fin prête à celles de demain. Aucune nostalgie donc, mais au contraire, un regard pointé vers l’avenir avec des solutions séduisantes pour une langue qui hélas n’a plus vraiment l’air de séduire. Vous ne pouvez pas vous imaginer combien sont celles et ceux qui me demandent, au Pérou, en Colombien, au Chili, etc. à quoi ça peut bien servir d’apprendre le français. Ils/Elles n’en perçoivent pas ou pas vraiment l’utilité et ont même souvent l’impression d’une langue éloignée et difficile (bienvenue l’intercompréhension qui a l’air de gagner du terrain dans les cours, mais pas assez malheureusement). Tout le monde se souvient de cette campagne qui présentait les 10 bonnes raisons d’apprendre le français mais pas sûr que ce soit la meilleure manière de convaincre les sceptiques. Il ne fait aucun doute que l’enseignement du français a besoin d’un grand Entrümpelung au cours duquel on se débarrasserait des vieilles croyances sur comment on doit enseigner et surtout comment nos élèves apprennent. C’est pour cela que la formation est importante et qu’il est grand temps de mettre fin à la dégradation de la situation des professeurs de français. On le voit bien, ces formations proposent des programmes riches et novateurs qui ne peuvent que contribuer à ce renouveau de la classe de français. On y parle bien sûr de ce tsunami numérique mais il ne faudrait pas réduire l’innovation pédagogique nécessaire à la technologie, au web 2.0 ou aux plateformes qui ne cessent de se développer que ce soit depuis les institutions ou depuis le monde éditorial FLE*. Une évolution qui nous oblige à repenser l’ensemble des professions de notre secteur.

Module sur la classe inversée aux Universités du Monde (Nice, juillet 2016 - Photo: P. Liria)

Module sur la classe inversée aux Universités du Monde (Nice, juillet 2016 – Photo: P. Liria)

L’innovation pédagogique passe aussi, et surtout je dirais, par savoir changer nos dynamiques de classe et s’approprier des nouveaux outils, bien sûr, ou se réapproprier d’éléments trop souvent tenus à l’écart comme le rappelle Ken Robinson dans L’élément que je vous invite à lire si ce n’est déjà fait. Il est grand temps par exemple que le jeu (sérieux ou tout simplement de société) ou l’art y tiennent un plus grand rôle : petit clin d’oeil au passage à Ghislaine Bellocq qui ménage si bien art et FLE ou à Adrien Payet qui lie si bien apprentissage du français et théâtre. Bref, que la créativité des apprenants dans un sens large du terme soit vraiment au centre de la classe ; qu’on sache (qu’on ose) revoir les programmes de façon à ce que la mise en place du projet soit une réalité (il ne suffit pas de se remplir la bouche d’actionnel ou de le coucher sur les brochures ou le site qui décrivent la pédagogie prônée par telle ou telle institution). Cela demande de changer nos habitudes de classe, de réfléchir à de nouvelles pratiques. Ce n’est pas en vain que la classe inversée, qui semblait ne pas avoir sa place en FLE, comme je l’ai souvent regretté dans ce blog, commence enfin à être prise en compte pour accompagner ce changement. C’est en tout cas ce qu’on a pu constater dans les propositions de modules de plusieurs stages d’été ; reste qu’il faudra maintenant que l’enthousiasme des stagiaires ne retombent pas face au mur de leurs institutions. Parce que changer la classe n’est pas ni peut être le fait d’un prof mais bien le résultat d’un travail d’une équipe (le collaboratif commence dans la salle des profs) soutenue et accompagnée par sa direction.

Une nécessité de changement pour redonner envie d’apprendre
Introduire une nouvelle façon d’aborder l’enseignement est donc bien une nécessité parce que les étudiants d’aujourd’hui ont de nouvelles attentes (savoir échanger lors d’une visioconférence, répondre à des messages personnels mais aussi professionnels sur Whatsapp, mener des projets avec des partenaires à des milliers de kilomètres…) et de nouvelles façons d’apprendre (la technologie ne doit pas remplacer l’humain mais on ne peut non plus ignorer l’existence des supports tels que la tablette ou le smartphone ou des nouvelles manières d’interagir grâce notamment aux réseaux)*. C’est aussi ce qui contribuera à redonner envie d’apprendre notre langue. Les profs sont géniaux mais ne sont pas des Houdins : ce n’est pas d’un coup de baguette magique que ce changement se produira, n’en déplaise à certains. Par conséquent, la formation n’est pas un luxe. Elle est indispensable pour accompagner le discours ambiant qui réclame à cors et à cris qu’il faut se renouveler et innover pour motiver l’apprentissage de notre langue. Et même si l’été en France est une belle occasion pour joindre l’utile à l’agréable, je suis certain qu’ils/elles sont nombreux/-ses à souhaiter avoir accès pendant l’année scolaire à de vrais plans de formation.

* Voir le numéro 406 (juillet-août 2016) du Français dans le monde qui consacre un dossier aux « Cours en ligne, pratiques d’enseignants, parcours d’apprenants »
**A ce sujet, écoutez Mon enseignant va-t-il devenir un écran ? en podcast sur France Inter (27/08/2016)

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Marion Charreau nous invite à un voyage illustré dans le territoire du français

Posted by Philippe Liria sur 11/11/2015

francais_ciel.jpg(Mise à jour : le 15/12/15)

L’Île des Noms, la Montagne des Verbes… Quels sont donc ces territoires au nom si mystérieux ? Des territoires que traverse un personnage à la découverte de la langue française, tel Lancelot à la quête du Graal ou plus fantastique encore, Alice déambulant dans cet univers inquiétant en apparence mais magique si on n’a pas peur d’emprunter parfois des raccourcis comme le Tube des Pronoms.
Je n’en ai vu que des extraits mais ceux-ci donnent envie de faire la valise et partir dans ce merveilleux voyage initiatique et illustré de la langue française auquel nous invite Marion Charreau – que nous connaissons pour ses formations et son site, Territoires des Langues – dans son livre, Le français vu du ciel. Un voyage qui commence à Barcelone pour nous plonger dans les rouages du français – on ne perd pas de vue l’aspect pédagogique des cartes heuristiques (ou cartes mentales) qui lui sont si chères – à travers 40 planches illustrées.

Cette nouvelle cartographie du français s’inscrit dans une démarche originale pour poser un regard différent sur les verbes, les prépositions, etc. Le français vu du ciel, c’est un beau livre pour tous, francophiles et francophones, apprenants ou enseignants, qui montre que l’apprentissage d’une langue doit aussi – voire surtout – être un moment de plaisir qui n’est pas incompatible avec cette créativité, encore trop souvent délaissée dans une partie du monde de l’éducation. Et ne ratez pas son très intéressant passage sur RFI le 14 décembre. Interviewée par Yvan Amar pour son émission la Danse des mots, Marion nous parle avec passion de ce magnifique livre.Marion Charreau_0

Je vais vite me rendre sur le site de son éditeur, Zeugmo Editions, pour me faire un petit cadeau…

Pour en savoir plus :
http://territoiresdeslangues.com/2015/11/10/le-francais-vu-du-ciel-1-introduction/

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Le numérique au service de l’innovation pédagogique

Posted by Philippe Liria sur 15/07/2015

IMG_0151« L’élève doit être au centre de l’apprentissage ! » C’est une phrase que tout le monde a entendue mais qu’en est-il réellement ? Une fois dans la classe, la pression des programmes, des institutions, le manque de temps ou de formation font que trop souvent encore la classe est organisée non pas en fonction de l’élève et de sa façon d’apprendre mais plutôt en fonction de ces impératifs. Pourtant, nous devrions tous nous interroger sur notre manière d’apprendre, sur celle de nos étudiants et donc sur ce que nous faisons pour faciliter cet apprentissage. « Tout enseignement efficace doit commencer par la prise en compte de la façon qu’ont les étudiants à apprendre » nous rappelaient les auteurs de How learning works (Jossey-Bass, USA 2010), un excellent livre que je recommande vivement si vous vous intéressez aux processus d’apprentissage. Une inquiétude qui doit bien entendu être présente dans nos cours de français. Quelle place faisons-nous à la créativité ? Quelle rôle peuvent jouer les langues plus ou moins proches pour accompagner l’apprentissage ? Ou que faire de ces technologies qui entrent dans nos classes ? Qu’est-ce qui forcément change dans nos pratiques ou dans la dynamique du cours si le monde change autour de nous ? Ces questions, ce sont celles auxquelles essaient de répondre les spécialistes invités à participer au dossier du 400è numéro (bon anniversaire !) du Français dans le monde. couvn400 Dix pages, c’est encore trop peu pour traiter un sujet aussi vaste mais c’est déjà ça pour lancer la réflexion (ou l’approfondir) dans les salles de profs ou dans les réunions pédagogiques. Une réflexion par exemple sur la nécessité de repenser la classe de sorte que soient mis en avant les talents et les centres d’intérêt car « il s’agit de créer les conditions qui permettent (…) d’apprendre et de s’épanouir, sur le plan collectif et individuel » nous rappelle Ken Robinson (FDLM, pp.50-51), l’auteur de L’élément que j’avais eu l’occasion de présenter dans ce blog il y a quelque temps déjà. Et pour atteindre ces objectifs, il nous faut disposer de plus de temps pendant le moment de la classe. Oui, mais comment ? En réorganisant la distribution des contenus et du temps. La classe ou pédagogie inversée (la flipped classroom en anglais) peut être une solution à cette nécessité de repenser la classe. Marcel Lebrun, professeur à l’Université de Louvain (Belgique), nous parle de ce changement de paradigme et résume les trois niveaux de cette démarche pédagogique qui « repositionnent les espaces-temps traditionnels de l’enseigner-apprendre » (pp.52-53). IMG_0154L’idée de la pédagogie inversée commence à faire son entrée dans la classe de FLE, comme me le rapportait une jeune enseignante venezuelienne lors du BELC Régional de Bogota. Elle n’hésite pas à expérimenter ce concept pour donner une nouvelle dynamique à son cours et donc motiver différemment ses élèves. Je constate aussi que dans plus en plus de formations, on nous demande d’en parler dans l’optique de la mettre en place, même si ce n’est que ponctuellement. Et si ces classes peuvent « prendre », c’est aussi parce que les technologies numériques sont arrivées au bon moment, à condition de savoir en user sans en abuser ! Or, cela a été trop souvent le cas à cause d’une certaine précipitation (un « tsunami numérique », pour reprendre le titre du livre d’Emmanuel Davidenkoff, qu’on ne peut ignorer) malgré les appels à la vigilance d’experts tels que Thierry Karsenti (lire aussi cet article). Il faut donc non pas les imposer mais bien savoir les intégrer dans l’apprentissage. C’est dans cette intégration que réside l’innovation pédagogique. Il faut donc que le professeur apprenne à maîtriser ces outils technologiques de plus en plus performants ; qu’il devienne un « enseignant multidimensionnel » nous dit Marc Oddou, bien connu des profs de FLE notamment grâce à son site. La tablette est un bon exemple d’outil qui peut favoriser cette « créativité pédagogique » des apprenants que revendique Ken Robinson, à condition de gérer l’espace-temps différemment, souligne Laurent Carlier (inovateach.com).lcarlier Et pour y parvenir, il faut changer la dynamique de classe et renforcer la place de l’authentique dans la classe. Le web 2.0 doit y contribuer. C’est l’avis de Christian Ollivierr&a_juillet2013, spécialiste de l’introduction de ces nouvelles pratiques en lien avec les mutations technologiques auxquelles nous assistons et surtout participons (cf. Recherches et applications, juillet 2013). Pourquoi le web 2.0 ? Parce qu’il contribue à l’authenticité des échanges en laissant les apprenants réaliser des « tâches ancrées dans la vie réelle » qui débouchent sur un « produit(…) fortement socialisé« . Mais le ‘comment-j’apprends’ ne passe pas que par la technopédagogie. C’est aussi la capacité à mobiliser des stratégies qui vont contribuer à mieux s’approprier d’une langue. Par exemple, en se basant sur les différents degrés de parenté entre la langue cible et celle de départ. Selon la distance de ces langues, les compétences à mobiliser seront différentes, comme nous le décrit Jean-Michel Robert dans un article sur l’intercompréhension, dont on ne parle pas assez en classe de langue comme je le signalais dans ce blog le mois dernier et qui pourtant contribue vraiment à l’apprentissage des langues et à la mobilisation de stratégies pour mieux y arriver.
Voilà donc un superbe numéro du Français dans le monde, une belle réussite avec un riche contenu pédagogique au-delà de ce dossier. A lire absolument, sur papier ou, puisque nous parlons numérique, sur l’application qui accueille la version numérisée de la célèbre revue.

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Changer nos pratiques d’enseignement car l’apprentissage change

Posted by Philippe Liria sur 29/03/2015

Alors que l’on a l’air de peiner à vraiment mettre en place une pédagogie du projet dans la classe de FLE, les expériences dans le domaine scolaire semblent vouloir donner raison à celles et ceux qui y croient. Je pense à cet article publié dans The Independent sur les réformes de l’école en Finlande ou à cet autre article lu dans El País et qui rapporte l’expérience que mène un collège jésuite en Catalogne.
En Finlande, on parle de reléguer les matières du moins en tant que tel – elles ne disparaissent pas vraiment comme le précise le site finnois Theconversation mais seront intégrées dans des thématiques plus globales. Les matières seront mises au service de projets interdisciplinaires, ce qui permettra ainsi de les contextualiser donc de leur donner plus de sens.
En Catalogne, c’est le collège Claver Raimat (Lleida) qui a lancé l’expérience d’une école différente dont l’apprentissage n’est plus basé sur des matières mais sur la transversalité des connaissances et des savoir-faire. Limitée à certaines classes, l’initiative, fruit d’une réflexion entre experts, enseignants, parents et bien entendu les élèves, devrait s’étendre petit à petit aux autres niveaux. L’école devient un lieu où les élèves ne répondent plus aux questions du professeur qui vérifierait s’ils ont bien appris leur leçon mais au contraire, ils cherchent à répondre à des questions qui n’ont pas encore de réponse ce qui est une véritable motivation à mobiliser ensemble (travail collaboratif) des compétences dans le but de faire car « c’est en faisant qu’on apprend ». L’élève n’est pas simplement un apprenant, il participe activement au processus créatif du projet et donc de ses propres connaissances. Comme on le fait remarquer dans l’article d’El País, il n’est pas anodin de retenir que ce changement de paradigme se produit dans un collège jésuite, l’ordre qui d’une certaine façon imposa le modèle éducatif « traditionnel » et qui pour le moment domine encore le monde éducatif mais dont les jours sont peut-être comptés.
Et c’est dans ce contexte de changement que je reviens à la classe de langue, en particulier celle de français. Voilà plus de 10 ans maintenant que nous parlons d’être plus actif en classe. La perspective actionnelle est dans la bouche de tous les experts et dans les recommandations de toutes les institutions du Réseau. Bref, parler de tâche finale ou de projet, de travail collaboratif… ce n’est absolument pas nouveau. Et pourtant, il suffit de visiter la plupart des établissements dudit Réseau pour constater que la réalité est souvent à des années-lumière des recommandations. Les outils facilitateurs ont certes fait leur entrée dans la classe depuis le manuel « actionnel » (tous les sont plus ou moins depuis 2004) jusqu’au numérique (du simple vidéoprojecteur aux tablettes et à l’accès à Internet) ; les coordinateurs ont aussi remanié les programmes et les progressions car il faut que les niveaux du CECRL soient visibles – en oubliant peut-être qu’il ne suffit pas d’indiquer ces niveaux pour que les contenus soient reflétés dans la classe ; les professeurs sont sensibilisés à la question, moins les élèves… C’est d’ailleurs un des points qu’il faudrait peut-être revoir : on ne peut prétendre changer la façon d’enseigner sans impliquer directement l’ensemble des acteurs ; or, les élèves qui proviennent souvent d’autres habitudes d’apprentissage se retrouvent tout à coup plongés dans une classe de français qui ne répond pas à l’idée qu’ils se font de la classe. Si ce changement n’est pas accompagné, il risque de provoquer le rejet avec pour conséquence une chute des effectifs que la direction de l’établissement va vouloir freiner en… revenant à de vieilles pratiques parce que « c’est ce qu’attendent nos élèves« . Curieuse façon de trouver des solutions au problème posé. Et puis, changer nos pratiques de classe, cela demande du temps, de l’implication. Difficilement compatible avec des emplois du temps qui ne prennent pas en compte la réalité de la classe : on ne peut prétendre à un enseignement de qualité, basé sur des paramètres modernes et novateurs si les enseignants doivent courir entre trois et quatre établissements, travailler avec trois ou quatre manuels différents sur trois ou quatre niveaux différents avec un total d’heures d’enseignement plus près des 40 heures que des 20 heures (celles-ci sont pour les très priviligiés, mais il n’y en a pas beaucoup dans la profession !). Alors la pédagogie du projet, si belle sur le papier, si bien mise en avant dans les manuels ces dernières années, eh bien cette pédagogie, elle passe à la trappe ! Tant pis pour le projet, on le fera… peut-être, si on a le temps. Et on revient à des outils de travail qui vont nous simplifier la vie, le manuel qu’on n’aura qu’à suivre sans se poser de question et la bonne vieille leçon de grammaire accompagnée de ses bons vieux exercices qui nous font croire que les élèves seront compétents parce qu’ils ont compris et qui font croire aux élèves qu’ils le seront parce qu’ils ont bien fait les exercices. Quel leurre !
Pouvons-nous continuer à vivre dans cette contradiction ? La classe de français, et a fortiori celle qu’on propose dans les établissements du Réseau ne peut ignorer que nous sommes au XXIè siècle et que la pédagogie à mettre en place doit être en phase avec les besoins de la société d’aujourd’hui. Pour y arriver, il faut s’en donner les moyens. Il ne faut pas renoncer aux budgets de formation. C’est bien d’avoir donné des enveloppes pour acheter des dizaines et des dizaines de TNI (qui après avoir passé un temps dans des cartons car personne n’avait pensé qu’il fallait les installer) mais il fallait aussi accompagner cette initiative fort louable d’un plan de formation pédagogique (peu en ont vraiment bénéficié) pour ne pas être utilisés comme de vulgaires tableaux blancs voire noirs). Et maintenant, c’est au tour des tablettes mais ne commettons pas les mêmes erreurs : formons les profs à une utilisation pédagogique en classe ! Il faut trouver aussi une solution pour que les enseignants de ce Réseau puissent vraiment préparer des cours « actionnels » (donc avoir du temps pour mettre en pratique ce qu’on leur explique dans les stages ou les mastères FLE). C’est aussi ce qui fait la qualité et le prestige de ces établissements, y renoncer revient à remettre en cause la raison d’être de ce Réseau. Ce serait bien dommage et je n’ose imaginer que ce serait la secrète idée qui courrait du côté de certains ministères. Alors, pour y arriver, il ne faut pas que ces changements de paradigme d’enseignement soit perçus comme une imposition venue de l’extérieur mais comme une réflexion à mener dans chaque établissement sur la façon de les introduire. Tous doivent y être impliqués, y compris les élèves. Pure utopie ? Non, condition sine qua non pour qu’on puisse véritablement changer la classe en adaptant les recommandations générales à la réalité locale, mais sans y renoncer. Cette adaptation, c’est aussi la clé du succès de l’enseignement en Finlande ou de ce collège de Lleida.

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Vocabulaire de l’informatique et de l’internet : la Commission a encore frappé

Posted by Philippe Liria sur 18/09/2014

Régulièrement la Commission spécialisée de terminologie et de néologie de l’informatique et des composants électroniques, bref la CSTIC publie ses avis sur la façon dont nous devrions parler informatique et Internet, mais aussi biologie, sport, etc. pour ne citer que les derniers. mot-dièse. Quel mot vous dites ? J’ai dit « mot-dièse », un hashtag pour bien se comprendre. Car qui s’en souvient ? Tout le monde continue à pousser ces cui-cuis ou autres roucoulements sur Twitter mais le pauvre mot-dièse, lui, n’est pas près d’être trending topic ! Le 16 septembre dernier, c’est une nouvelle liste de recommandations qui a été publiée dans le très sérieux et très officiel Journal Officiel. On y apprend qu’un thumbnail doit se dire « imagette » ou que vous, lecteur/lectrice, vous n’êtes peut-être qu’un « fureteur » ou qu’une « fureteuse » car vous quitterez ce blog, pardon ce blogue sans laisser de commentaire à ce post (ce billet ?). Aux oubliettes les luckers ! Enfin, aux oubliettes… On verra.

Évidemment ce ne sont que des recommandations comme le précise le site France-terme. Dans ce cas, il s’agit donc de savoir les consommer avec modération. En abuser ne facilitera certainement pas la communication. Par contre, une fois encore, il s’agit de savoir, dans le cadre du FLE, d’adapter le contenu aux besoins des apprenants. A qui nous adressons-nous ? A des professionnels qui vont devoir utiliser une terminologie précise pour créer des documents à valeur juridique ? À des informaticiens qui devront dialoguer avec leur partenaire français ? A un public généraliste qui va éventuellement parler informatique et Internet à l’occasion d’un dîner ou autour d’un verre ? On comprend bien qu’il s’agit d’adapter nos contenus aux objectifs de nos apprenants.
Et ce qui est valable pour l’informatique et l’Internet, l’est aussi dans d’autres domaines dans lesquels la CSTIC met son nez. Dans votre classe d’ados, parler d’aller s’acheter des « chaussures à roulettes » ne sera peut-être pas très utile si vous voulez qu’ils trouvent le rayon des roller shoes dans la boutique de sport.
Cependant, et pour ne pas laisser l’impression que la CSTIC est loin de la réalité, il faut savoir qu’elle contribue aussi à désigner en français des concepts qui existent mais n’ont pas forcément un nom alors que d’autres langues l’ont. Ainsi, les crimes de femmes en raison de leur sexe n’avait pas vraiment de nom dans notre langue alors que l’anglais et l’espagnol parlent respectivement de gendercide et de crimen de género. Maintenant, nous pourrons parler de « féminicide ». Car mettre un nom sur la chose, c’est la rendre visible ; en admettre l’existence et donc se dire, dans ce cas, que la société est vraiment décider à lutter contre un tel fléau.
Le site comprend aussi depuis 2007 des dossiers thématiques particulièrement intéressants dans la section Vous pouvez le dire en français. Le dernier en date (mai 2014), Étoiles et toiles nous suggère quelques termes intéressants pour parler de cinéma en français. Ainsi « ce biopic a été possible grâce au crowdfunding » devient « ce biofilm a été possible grâce à la production participative ».

Au-delà de tous ces mots, ce qui est sûr, c’est qu’une langue vivante ne peut prétendre l’être en ne créant des néologismes qu’à partir de la propre langue. Le propre de la richesse linguistique est de savoir justement intégrer des mots venus d’ailleurs parce qu’ils contiennent des images, des concepts que la langue d’accueil n’a pas. C’est ce qui l’enrichit véritablement. L’usage des locuteurs et le temps se chargeront de prendre ou de laisser en chemin ces mots provenant d’autres langues. Je ne crois pas que ce soit des « gardiens de l’orthodoxie » qui pourront empêcher ce « jargonnage » aussi vieux que la civilisation. Les hommes sont des migrants, les langues aussi et c’est ce qui en fait toute la richesse.

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Au revoir, Professeur !

Posted by Philippe Liria sur 15/07/2014

louis_porcherCe matin, alors que j’étais dans le train qui me conduisait à Nantes pour une journée au BELC, c’est un bien triste email qui arrivait dans ma boite. Valérie Lemeunier m’annonçait le décès de Louis Porcher. Entré tard dans le monde du FLE, je ne le connaissais pas encore quand Valérie a commencé, il a 20 ans déjà, à me parler de ce merveilleux professeur. Je ne l’ai hélas jamais rencontré mais j’ai l’impression pourtant de l’avoir toujours connu tant ces ouvrages ont été et sont présents dans mon parcours FLE et plus généralement de la didactique des langues.
C’est certainement l’un des pères du Français langue étrangère tel qu’on l’entend aujourd’hui, qui considérait la discipline comme étant la « colonne vertébrale » de la diffusion de notre langue qu’il nous voulait surtout pas limiter à une vision franco-française de la Francophonie mais bien celle d’une langue d’ouverture, plurielle et diverse.
Il a largement contribué à diffuser l’idée que l’enseignement du FLE devait évoluer vers la mise en place de compétences communicatives mais aussi , et surtout peut-être, des savoir-faire socio-culturels car il a bien avant d’autres insisté sur l’importance que l’enseignement de la langue doive répondre aux nouveaux besoins de la société.
Dernièrement, j’aimais faire un tour sur son petit blog qu’il tenait sur le site de l’ASDIFLE où il s’amusait à nous parler de mots, le tout dernier en date, celui de juin 2014, portait sur le mot « thune(s) ».
Je ne vais pas recopier ici sa bibliographique, que vous pouvez retrouver aisément sur l’article de Wikipedia à son sujet.
Un grand nom du FLE nous a quittés mais je sais que pour un grand nombre d’entre nous, il restera présent dans nos cours ou dans nos ouvrages car c’est à lui que nous devons beaucoup de ce que nous y mettons. Au revoir, Professeur !

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Le corps et la voix… Des outils indispensables et pourtant trop souvent oubliés !

Posted by Philippe Liria sur 14/07/2014

le_corps_et_la_voix_de_l'enseignant_2.inddVous n’avez jamais fait cours sans voix ? Complètement aphone ? Certainement, d’ailleurs environ un enseignant sur deux connaît au cours de sa carrière un problème de voix. Et puis, il y a ces mains ou ces bras qu’on ne sait pas toujours comment placer ou ces mouvements de va-et-vient face aux élèves. Souvent involontaires, car non contrôlés, ils peuvent finir par fatiguer et entrainer une perte d’attention de la classe. Souvent maltraitée, si on parle de la voix ou carrément ignoré, s’il s’agit du corps, les deux forment pourtant un tout indispensable pour un enseignement de qualité en classe de langue. Malgré ce constat, je dirais même cette vérité digne de La Palice, que savons-nous de notre corps et de notre voix dans la pratique enseignante ? Quant à la recherche, que nous dit-elle ? Hélas, pas grand-chose. Il semblerait en fait que ces outils de travail, car c’est ce qu’ils sont, « constituent un ‘angle mort’ des recherches en éducation et en didactique ».
C’est en partant de ce constat que Marion Tellier et Lucile Cadet ont décidé de réunir dans un ouvrage collectif une série d’articles inédits qui permettent de faire la lumière sur la place qu’occupent corps et voix dans l’enseignement. Publié aux Éditions Maison des Langues, Le corps et la voix de l’enseignant : théorie et pratique a donc pour objectif d’apporter un éclairage nouveau et complet sur la question. Tellier et Cadet le disent clairement dans leur avant-propos_le_corps_et_la_voix, le sujet reste marginal comme si, pour reprendre l’expression de Christine Tagliante, la « fée pédagogique » s’était « penchée sur le berceau du futur enseignant et lui avait transmis le don d’utiliser sa voix et ses gestes à bon escient ».
Le sujet est traité sous différents angles car, pour bien en parler, il faut à la fois prendre en compte des aspects cliniques mais aussi didactiques ou encore psychologiques.
La première partie porte sur la voix puis dans une deuxième partie, c’est le corps qui centre l’attention. Finalement, la troisième partie s’intéresse à la prise en compte de cette question dans la formation de l’enseignant. Chaque partie contient, outre les articles, des fiches pratiques utiles pour la formation ou pour la classe.
Comme le signalent les coordinatrices de cet ouvrage, bien que centré sur l’enseignement des langues étrangères, pas exclusivement le FLE ou le FLES, il est évident que les réflexions et les résultats « sont transférables à l’enseignement de diverses disciplines et à des publics variés. »
Des articles et des fiches mais aussi un glossaire et une bibliographie référencée qui font de cet ouvrage un livre indispensable, à mon avis, que ce soit pour le professeur expérimenté ou pour tous les étudiants qui se préparent à ce métier en espérant que ces outils que sont le corps et la voix ne constituent plus l’ « angle mort » dont nous parlent Marion Tellier et Lucile Cadet.

Pour en savoir plus :
Le corps et la voix de l’enseignant : théorie et pratique, sous la direction de Marion Tellier et Lucile Cadet, Editions Maison des Langues, Paris, 2014.

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Réponse à Jean-Philippe Blondel

Posted by Philippe Liria sur 29/12/2012

Je remercie Jean-Philippe Blondel, l’auteur de G229, pour avoir réagi à mon billet au sujet de l’approche actionnelle et dans lequel je le citais en reprenant un article de Christian Puren. D’après J.-P. Blondel, il n’y aurait rien de nouveau sous le soleil… Et pourtant… « faire atteindre un même objectif à des groupes hétérogènes », pour reprendre Claire Bourguignon, ce n’est pas simple… En tout cas, c’est certainement plus difficile que de faire faire des exercices sur le passé compose sans pour autant rejeter la maîtrise de connaissance. Bref, une approche actionnelle demande d’aller au-delà de la maîtrise des connaissances et des savoir-faire mais aussi de savoir les mobiliser au bon moment pour réaliser la tâche ou le projet… (Lire la réponse)

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