Le blog de Philippe Liria

Auteur, formateur, consultant et éditeur de français langue étrangère (FLE)

Posts Tagged ‘Tsunami numérique’

« Nouvelle normalité » éducative dans un monde « d’après » mais sans renoncements

Posted by Philippe Liria sur 30/06/2020

Une école de Taïwan, modèle post-COVID-19 – Image: REUTERS/Ann Wang

Voilà, il paraît que nous commençons à tourner la page de cette période de confinement. Il paraît aussi que plus rien ne sera comme avant dans cette “nouvelle normalité”, annoncée d’ailleurs dès les premiers jours de la crise coronavirale. Il paraît donc que le temps est venu de faire place à l’”école d’après”. Il s’agirait d’une école nouvelle où la normalité prendrait la forme d’un numérique érigé en sauveur face à la menace du vide éducatif dans lequel, en son absence, se précipiterait une grande partie des apprenants.

Un jour, avec du recul, on pourra peut-être se demander pourquoi nous avons été capables d’organiser les supermarchés, souvent restés ouverts, mais n’avons pas, dans l’urgence, su garantir l’éducation en présentiel dans un sens large du terme. Avec toutes les mesures nécessaires, bien sûr ! Et certainement mieux que dans les supermarchés… Les virologues ont certainement une réponse scientifique ; pas forcément partagées par les pédagogues comme le rappelait Jaume Funes, psycholoque spécialiste des adolescents, qui déclarait dans un entretien publié dans La Vanguardia (20/06/2020) que, si on a su « assouplir des mesures par nécessités économiques, on aurait bien pu penser au bien-être des enfants. » Mais au nom de la sécurité sanitaire, les premiers ont été écoutés et les seconds, eh bien, les seconds… Comme si la santé de l’éducation devait être reléguée en deuxième voire troisième plan. Je ne suis pas spécialiste bien entendu mais cela doit-il m’empêcher de m’interroger sur les décisions prises. Ne faut-il dans ces cas-là ne donner la parole qu’aux experts de la santé ? Et les autres ? Mais c’est un autre débat.

Comme dans plusieurs autres secteurs de la société, le numérique – si souvent décrié par les profs – a contribué à assouplir les effets désastreux de la crise sur les apprenants et les enseignants. Certains disent qu’un mythe est tombé. J’ai plutôt l’impression que nous en avons enfin fini avec la diabolisation par défaut du numérique et de tout ce qui tourne autour. Il était temps. Je vous renvoie ici à deux articles que j’avais publiés il y a quelques années sur la question : Haro sur l’innovation pédagogique ! et Smartphone à l’index ? La fausse bonne réponse. Nous avons pu observer en effet que la peur du numérique, parfois même tout simplement de l’outil informatique, a disparu. Ouf ! Vaincre ses peurs ne revient pas à ignorer les dangers que peut présenter le numérique mais le fait même d’y avoir goûté permettra de développer un certain esprit critique. On va ainsi en finir avec la critique gratuite, parfois méchante et partant souvent de préjugés dont il était difficile de se défaire et qui freinaient indéniablement la mise en oeuvre d’une politique pro-active vis-à-vis du numérique. Dommage que l’on ait pas écouté plus attentivement les avertissements lancés par certains comme Emmanuel Davidenkoff qui prédisait en 2014 un tsunami numérique. Davidenkoff s’interrogeait alors sur l’état de la préparation dans lequel allait nous surprendre ce tsunami, lui-même conséquence du séisme sociétal provoqué par le (la?) COVID-19.

Prenons le côté positif de cette situation : elle a permis de prendre conscience de l’importance du numérique dans l’enseignement ; de se rendre compte qu’il présente de nombreux avantages mais qu’il a aussi des limites. Et des besoins : matériels et formatifs.

En tout cas, même si l’analyse à faire est complexe, on ne peut certainement que reconnaître que cela a été mieux avec que sans le numérique. Mais admettons aussi, comme le signale Thierry Karsenti qu’il y a eu “les bons coups et les échecs de l’école à distance”. On a aussi vu que les générations digitales ne sont pas forcément si compétentes numériquement qu’on ne l’aurait pensé ; comme nous avons vu aussi chez les enseignants surgir des talents pédagogiques et créatifs bien au-delà des murs de la classe tout en sachant surmonter des contraintes académico-administratives héritées du « temps d’avant« . Il semblerait que cela s’est plutôt bien passé chez les grands ados et chez les adultes. Apparemment, le résultat est plus mitigé chez les plus jeunes. Un constat que faisait la Conferencia sectorial de Educación début juin en Espagne dans un rapport qui évoquait “la difficulté à développer une activité enseignante non présentielle, spécialement en maternelle et en primaire pour atteindre les objectifs fixés ; ainsi que l’impact produit par la fracture numérique et l’augmentation des inégalités éducatives provoquées par cette situation (…)” 

Actuellement, il est trop tôt pour juger les effets du numérique en classe pendant la crise. D’ailleurs, sommes-nous certains de ce que nous mettons derrière ce concept ? C’est quoi en fait le « numérique” ? Et plus encore, c’est quoi le “numérique” associé au monde de l’éducation ? Le savons-nous vraiment ? A ce sujet, je voulais signaler un article, parmi les nombreux qui ont été écrit sur la question. Il s’agit de celui de Louis Derrac, consultant et formateur, spécialiste dans les domaines de l’éducation et de la culture numérique. Cet article a été publié le 11 juin dernier Quelle place donner au numérique dans “l’école d’après” ? sur son site. Sans être nécessairement d’accord à 100% avec son propos, je crois qu’il permet de rappeler ce que nous sommes plusieurs à dire depuis déjà longtemps : nous ne devons pas plier nos modèles éducatifs à la technologie, ne pas succomber aux charmes d’un numérique à la poudre de perlimpinpin mais savoir en tirer profit ; il faut soumettre l’outil et ses très vastes possibilités aux besoins de l’apprentissage. La situation actuelle nous le montre bien. Ne tombons pas dans le piège de la fascination éblouissante des plateformes et autres outils accompagnant cette nouvelle normalité. Apprenons à faire le tri, une fois encore sans préjugés !  Et surtout apprivoisons ces outils. Faisons en sorte qu’ils s’adaptent à nos besoins – et non l’inverse.

Je vous invite à lire ou relire à ce sujet un article que j’avais publié en 2018 sur la question à l’occasion de la sortie d’un ouvrage collectif proposant des outils numériques pour la classe. Retrouvez aussi cette note de lecture de l’ouvrage Numérique et formation des enseignants de langue

On le voit bien, les questions se bousculent et elles sont légitimes. Et elles ne datent pas d’hier. Elles sont nécessaires pour trouver les meilleures réponses dans cette situation de crise mais répondons-y dans un souci éducatif, pas technologique. Ne revenons pas à ces classes aux tables individuelles où chaque élève apprend dans son coin ce que dicte le maître et où, pis encore, des séparations plastiques ont été parfois installées pour éviter tout contact avec l’autre. Comme on a pu le voir sur certains réseaux diffusant des images d’écoles chinoises. Faisons-le aussi, pour reprendre l’idée de Jaume Funes, sans renoncer aux avancées pédagogiques de ces dernières années qui privilégient le travail collaboratif, la collaboration avec l’autre, l’interaction ; que ce soit virtuellement ou, et surtout en présentiel pour ne pas perdre de vue la fonction sociale de ce lieu extraordinaire qui est la salle de classe, entendu bien sûr, comme un espace non pas cloisonné mais bel et bien ouvert sur le monde. Indispensable en ces temps de replis sur soi-même, de fermeture des frontières et du risque de fermeture d’esprit qui l’accompagne.

Pour aller plus loin :

El ministerio de Educación y Formación profesional y las CCAA acuerdan priorizar las classes presenciales en el curso 2020-2021

Les bons et les échecs de l’école à distance : entrevue avec T. Karsenti (émis le 22 juin 2020)

COVID-19: Countries around the world are reopening their schools. This is what it looks like. (publié sur le site du Forum économique mondial le 2 mai 2020)

Quelle place donner au numérique dans « l’école d’après » ? (publié le 11 juin 2020 sur https://louisderrac.com

L’escola que volen els epidemiòlegs és impossible, entretien avec Jaume Funes (La Vanguardia, 20/06/2020)

Je propose ici une série de liens vers des articles publiés ces dernières années sur mon blog et qui, selon moi, et malgré la date de publication de certains, permettent d’apporter de l’eau au moulin de la réflexion sur la présence du numérique dans la classe.

Le numérique en classe de FLE, oui mais comment ? Trois spécialistes nous aident à y voir plus clair

Quelle intégration du numérique dans la classe de langue ?

Haro sur l’innovation pédagogique !

Le tsunami numérique d’Emmanuel Davidenkoff

Smartphone à l’index : la fausse bonne réponse !

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Les outils numériques rendent-ils plus difficile l’apprentissage ?

Posted by Philippe Liria sur 22/10/2016

Les outils numériques rendent-ils plus difficile l’apprentissage ? Pour savoir d’où vient cette question, lisez La Contra de La Vanguardia du 22/10/2016 (disponible en espagnol ou en catalan sur le site du journal catalan). Suggérer la lecture d’une interview de Manfred Spitzer (lien en allemand vers sa biographie sur Wikipédia) dans ce blog pourra certainement en surprendre plus d’un. Habitué à y trouver des articles et des liens qui sont plutôt favorables à l’intégration du numérique dans l’éducation, on peut s’étonner que je contribue à diffuser le message de ce neurologue allemand qui préconise ni plus ni moins que de retirer les smartphones et les tablettes de la classe car ces outils, qu’il perçoit plus comme des gadgets, « rendent difficiles l’apprentissage ». J’ai toutefois décidé de le faire parce que je crois que nous ne devons pas non plus nous laisser emporter par le « tsunami numérique » sans réfléchir sur les avantages et les inconvénients. Souvenez d’ailleurs du rapport de Thierry Karsenti il y a deux ans environ et dont je m’étais fait l’écho dans ce blog. L’expert canadien s’interrogeait sur les bienfaits de la tablette en classe. Spitzer va plus loin et prétend éliminer des classes tous ces appareils qui empêcheraient les élèves de se concentrer dans leur apprentissage. Il n’est pas technophobe mais pense que, comme une voiture dont on ne laisse pas le volant entre les mains d’un enfant, il faudrait interdire ces outils mais aussi Internet aux moins de 18 ans. Hérésie ! Comment ose-t-on affirmer de telles choses à l’ère du numérique qu’est la nôtre ? Un peu comme ceux qui critiquent l’innovation pédagogique et préfèrent la bonne vieille classe, telle qu’on la toujours faite (cf. Haro sur l’innovation pédagogique – Mars 2016). Inutile de préciser que je ne partage pas les suggestions de Spitzer (et des voix bien plus qualifiées que la mienne aussi remettent en cause ses analyses), mais nous ne pouvons pas nier non plus que cette révolution technologique provoque de véritables changements sociétaux et qu’il est fondamental de s’interroger sur ceux qu’ils nous apportent. Des sonnettes d’alarme comme celle que tire ce chercheur allemand doivent nous obliger à bien réfléchir à l’usage que nous faisons de la technologie numérique. Pas question de tomber dans cette « démence numérique » dont nous parle Spitzer (pour reprendre le titre d’un de ses ouvrages, Digital Demenz, 2012) mais analysons clairement ce qu’apporte tel ou tel outil numérique dans l’apprentissage. A ce propos, je vous conseille de regarder ce petit reportage diffusé sur Arte en 2015 :

Alors ne nous laissons pas entraîner par les dogmes ni d’un côté ni de l’autre. C’est ce qui fait l’intérêt de cette interview même si elle choque certaines convictions qu’on peut avoir sur le numérique. Je rejoins sur ce point Marcel Lebrun qui, dans un article publié en 2015 sur revue-projet.com, a bien raison de nous rappeler que ce n’est pas parce qu’il y a révolution technologique que nous allons vivre une révolution pédagogique. Les miracles n’existent pas ! Ce rappel, il le fait dans le cadre d’un débat sur le numérique à l’école où différents spécialistes interviennent pour essayer d’apporter des éléments de réflexion sur la question. nous devons tous avoir une réflexion globale sur la signification que doit avoir l’irruption du numérique dans l’enseignement/apprentissage, et notamment celui des langues étrangères, dont le FLE bien entendu.

Pour en savoir plus :
Interview de Manfred Spitzer (en français, 01/11/2013)

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Où en est le français dans le monde ?

Posted by Philippe Liria sur 29/08/2016

En été, le prof de FLE se forme
L’été touche à sa fin. Les « grandes vacances » aussi, du moins pour la plupart des profs de l’hémisphère nord mais, on le sait, le professeur de FLE est un être bizarre : il passe une très grande partie de l’année à faire bien plus que les trois huit pour joindre les deux bouts. Comment ? En donnant des cours FOS à sept heures du matin, des cours pour enfants ou ados en journée et des cours adultes en soirée… Et de plus en plus, entre cours et cours, que fait-il ? Outre préparer comme il peut le cours suivant et corriger les copies du précédent, il fait de l’hybride depuis son smartphone puis il enchaîne à pas d’heure depuis son PC portable avec un cours en ligne pour un étudiant à l’autre bout de la planète ! Jackpot penseront certains ? Eh bien, non ! Tout ça, pour des clopinettes !!! Et si certains lecteurs croient que j’exagère et que toute ressemblance avec la réalité ne serait que purement fortuite, qu’ils s’inquiètent : ils ont peut-être perdu contact avec la réalité ! Le FLE fait certes rêver. Je le sais: combien d’étudiants en parlent en imaginant leurs futures missions en terres lointaines et exotiques ?! Mais, quand on connaît la réalité du terrain, on sait ô combien le quotidien est très dur. Malgré cette vie de fous qui ne laisse guère de temps pour faire des folies – mais heureusement est pleine de petits plaisirs-, que fait le prof de FLE pendant ses vacances ? Je vous le donne en mille : il se forme ! Et l’été européen est souvent le moment choisi pour suivre l’une des nombreuses formations proposées ici et là.

Conférence Jacques Pécheur sur les scénarios actionnels- Liège 2016 (Photo: P. Liria)

Conférence Jacques Pécheur sur les scénarios actionnels- Liège 2016 (Photo: P. Liria)

Stages d’été, congrès… du FLE pour tous les goûts
Cette année n’a pas dérogé à la règle, et malgré le climat ambiant pas vraiment à la fête : les profs se sont donné rendez-vous à Nantes, Nice, Besançon ou ailleurs pour suivre l’une de ces nombreuses formations estivales avant de rentrer dans leur pays de provenance. A leur retour, ils pourront mettre en oeuvre et relayer ce qu’ils ont pu y apprendre. Cet été, en plus de ces stages, comme tous les quatre ans, les professeurs de FLE se sont retrouvés en juillet pour le grand messe qu’est le Congrès mondial des professeurs de français. Et pour cette quatorzième édition qui s’est tenue à Liège du 14 au 21 juillet, les quelque 1500 professionnels présents se sont demandés justement où en est le français. Venus de 104 pays, ils ont assisté et souvent proposé des conférences, des communications ou encore animé des présentations ou des ateliers pour mettre à jour et partager leurs connaissances, échanger sur leur pratique mais aussi sur la situation de l’enseignement du français dans leur pays. Du moins quand on leur a permis de traverser les barrages administratifs que dresse l’Europe d’aujourd’hui. Pas facile de demander de défendre les valeurs contenues, paraît-il, dans notre langue si l’on ferme la porte au nez de ceux qui justement la prennent pour étendard de leur liberté ! C’est sans doute cette triste réalité qui se rappelle à nous, même lors d’un congrès dont l’objet principal est l’enseignement. Mais il est clair qu’apprendre le français dans les deux sens du verbe n’est pas ni ne peut être un acte innocent, comme l’a réaffirmé le président du Comité organisateur, l’académicien Jean-Marie Klinkenberg dans son discours de clôture.

Conférence de clôture de J.-M. Klinkenberg - Liège 2016 (photo : P. Liria)

Conférence de clôture de J.-M. Klinkenberg – Liège 2016 (photo : P. Liria)

C’est aussi le ton de l’appel que lancent les professeurs de français dans le document final de résolutions en revendiquant clairement leur rôle dans cette lutte pour « un monde plus juste, mis à l’abri de la barbarie, respectueux des identités et des diversités« . Parce que, nous le savons tous, « la langue est un objet politique » qui véhicule des idées profondément attachées au développement et à l’émancipation des citoyens contre tout type d’oppression sociale, culturelle ou politique. Mais le prof de français, ambassadeur de ces précieuses idées, n’est souvent qu’un simple soldat de plomb, d’une armée certes nombreuse mais aux effectifs qui ne cessent de baisser comme nous l’a rappelé aussi ce congrès, et qui souvent se demande ce que font les décideurs pour éviter la fermeture des cours de français ou la précarisation permanente de la profession. Situation ardente, pour reprendre l’adjectif qui définissait le congrès, et à laquelle devra faire face la nouvelle équipe de la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF) avec à sa tête Jean-Marc Defays qui prend donc le relais de Jean-Pierre Cuq après deux mandats. Ce spécialiste du FLE qui nous vient de l’Université de Liège sera entouré, entre autres, d’une Canadienne, Cynthia EID et d’une Roumaine, Doina SPITA pour relever les nombreux défis de la Fédération (manque d’enseignants, absence de politiques en faveur du français, nouveaux besoins des associations…) et qu’on peut retrouver, du moins en partie, dans le Livre blanc présenté lors du congrès de Liège et qui prétend dresser, comme il l’annonce, « un panorama unique de l’enseignement de la langue française dans le monde« .

Des programmes pour repenser le FLE
On l’a vu aussi, le programme bien chargé du congrès – peut-être un peu trop – ou encore ceux des stages d’été sont révélateurs de ce renouvellement nécessaire. Ce qui rend encore plus indispensable la formation initiale mais surtout continue des professionnels du FLE. C’est d’ailleurs le premier point mis en avant dans les résolutions du Congrès. Si la langue française est, et prétend rester, ardente, donc bel et bien vivante, il faut qu’elle s’adapte aux réalités du monde d’aujourd’hui et puisse être fin prête à celles de demain. Aucune nostalgie donc, mais au contraire, un regard pointé vers l’avenir avec des solutions séduisantes pour une langue qui hélas n’a plus vraiment l’air de séduire. Vous ne pouvez pas vous imaginer combien sont celles et ceux qui me demandent, au Pérou, en Colombien, au Chili, etc. à quoi ça peut bien servir d’apprendre le français. Ils/Elles n’en perçoivent pas ou pas vraiment l’utilité et ont même souvent l’impression d’une langue éloignée et difficile (bienvenue l’intercompréhension qui a l’air de gagner du terrain dans les cours, mais pas assez malheureusement). Tout le monde se souvient de cette campagne qui présentait les 10 bonnes raisons d’apprendre le français mais pas sûr que ce soit la meilleure manière de convaincre les sceptiques. Il ne fait aucun doute que l’enseignement du français a besoin d’un grand Entrümpelung au cours duquel on se débarrasserait des vieilles croyances sur comment on doit enseigner et surtout comment nos élèves apprennent. C’est pour cela que la formation est importante et qu’il est grand temps de mettre fin à la dégradation de la situation des professeurs de français. On le voit bien, ces formations proposent des programmes riches et novateurs qui ne peuvent que contribuer à ce renouveau de la classe de français. On y parle bien sûr de ce tsunami numérique mais il ne faudrait pas réduire l’innovation pédagogique nécessaire à la technologie, au web 2.0 ou aux plateformes qui ne cessent de se développer que ce soit depuis les institutions ou depuis le monde éditorial FLE*. Une évolution qui nous oblige à repenser l’ensemble des professions de notre secteur.

Module sur la classe inversée aux Universités du Monde (Nice, juillet 2016 - Photo: P. Liria)

Module sur la classe inversée aux Universités du Monde (Nice, juillet 2016 – Photo: P. Liria)

L’innovation pédagogique passe aussi, et surtout je dirais, par savoir changer nos dynamiques de classe et s’approprier des nouveaux outils, bien sûr, ou se réapproprier d’éléments trop souvent tenus à l’écart comme le rappelle Ken Robinson dans L’élément que je vous invite à lire si ce n’est déjà fait. Il est grand temps par exemple que le jeu (sérieux ou tout simplement de société) ou l’art y tiennent un plus grand rôle : petit clin d’oeil au passage à Ghislaine Bellocq qui ménage si bien art et FLE ou à Adrien Payet qui lie si bien apprentissage du français et théâtre. Bref, que la créativité des apprenants dans un sens large du terme soit vraiment au centre de la classe ; qu’on sache (qu’on ose) revoir les programmes de façon à ce que la mise en place du projet soit une réalité (il ne suffit pas de se remplir la bouche d’actionnel ou de le coucher sur les brochures ou le site qui décrivent la pédagogie prônée par telle ou telle institution). Cela demande de changer nos habitudes de classe, de réfléchir à de nouvelles pratiques. Ce n’est pas en vain que la classe inversée, qui semblait ne pas avoir sa place en FLE, comme je l’ai souvent regretté dans ce blog, commence enfin à être prise en compte pour accompagner ce changement. C’est en tout cas ce qu’on a pu constater dans les propositions de modules de plusieurs stages d’été ; reste qu’il faudra maintenant que l’enthousiasme des stagiaires ne retombent pas face au mur de leurs institutions. Parce que changer la classe n’est pas ni peut être le fait d’un prof mais bien le résultat d’un travail d’une équipe (le collaboratif commence dans la salle des profs) soutenue et accompagnée par sa direction.

Une nécessité de changement pour redonner envie d’apprendre
Introduire une nouvelle façon d’aborder l’enseignement est donc bien une nécessité parce que les étudiants d’aujourd’hui ont de nouvelles attentes (savoir échanger lors d’une visioconférence, répondre à des messages personnels mais aussi professionnels sur Whatsapp, mener des projets avec des partenaires à des milliers de kilomètres…) et de nouvelles façons d’apprendre (la technologie ne doit pas remplacer l’humain mais on ne peut non plus ignorer l’existence des supports tels que la tablette ou le smartphone ou des nouvelles manières d’interagir grâce notamment aux réseaux)*. C’est aussi ce qui contribuera à redonner envie d’apprendre notre langue. Les profs sont géniaux mais ne sont pas des Houdins : ce n’est pas d’un coup de baguette magique que ce changement se produira, n’en déplaise à certains. Par conséquent, la formation n’est pas un luxe. Elle est indispensable pour accompagner le discours ambiant qui réclame à cors et à cris qu’il faut se renouveler et innover pour motiver l’apprentissage de notre langue. Et même si l’été en France est une belle occasion pour joindre l’utile à l’agréable, je suis certain qu’ils/elles sont nombreux/-ses à souhaiter avoir accès pendant l’année scolaire à de vrais plans de formation.

* Voir le numéro 406 (juillet-août 2016) du Français dans le monde qui consacre un dossier aux « Cours en ligne, pratiques d’enseignants, parcours d’apprenants »
**A ce sujet, écoutez Mon enseignant va-t-il devenir un écran ? en podcast sur France Inter (27/08/2016)

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L’élément de Robinson en un simple coup d’oeil

Posted by Philippe Liria sur 22/08/2014

Robinson Format 30Je vous ai beaucoup parlé de Ken Robinson et de ses travaux. Il y a quelques mois, je vous avais présenté sur ce blog L’élément dans sa version française (cf. article), un ouvrage indispensable pour mieux comprendre la réflexion autour d’apprentissage et créativité. Hier, c’est une amie (Merci !) qui m’a signalé un résumé de ce livre sous forme de mindmap que vous pouvez retrouver sur Format 3.0, le blog de Marco Bertolini, consacré, entre autres, à la pensée visuelle, mais aussi à la formation et l’éducation et d’une façon plus générale à l’emploi des technologies dans l’enseignement.

Au-delà de ce que dit ou écrit Ken Robinson, il est temps que dans l’enseignement du FLE, nous approfondissions nos réflexions sur les implications de la créativité dans l’apprentissage, que nous interrogions nos pratiques de classe, le matériel que nous élaborons, les programmes que nous concevons et voir ce que nous pouvons faire pour améliorer la place faite au « comment apprennent mes élèves » plutôt que nous centrer sur le « comment j’enseigne ». Il parait que c’est un point de vue très anglo-saxon, comme le signale Emmanuel Davidenkoff dans un entretien sur Médiapart, mais si cela contribue à l’obtention de meilleurs résultats, pourquoi ne pas le prendre en compte ?
Évidemment, cette réflexion nous obligera à revoir une grande partie de nos croyances autour de ce qu’il faut enseigner et pour les apprenants, ce qu’ils doivent apprendre. Pas simple, pour personne ! Car l’on sait que les réticences ne viennent pas que du corps enseignant. Elles viennent aussi des apprenants, s’ils sont adultes, et dans les cas des plus jeunes, souvent de leurs parents qui continuent à associer l’apprentissage de la langue à une accumulation des connaissances, notamment grammaticales. Et aussi des institutions qui pour mille et une raisons préfèrent rester conservatrices plutôt que d’oser de nouvelles pratiques de classe et bien entendu d’évaluation, car si celle-ci n’évolue pas, rien ne servira de changer. A ce sujet, les apports de l’approche actionnelle, de la pédagogie différenciée ou de la classe inversée pourraient ouvrir de nouvelles perspectives à condition de prendre le temps de les mettre en place, de les tester, de les corriger… Pas simple dans ce monde du FLE si précaire !

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