Le blog de Philippe Liria

Auteur, formateur, consultant et éditeur de français langue étrangère (FLE)

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Paris choqué : le nouveau Premier ministre ne parle pas pointu !

Posted by Philippe Liria sur 06/07/2020

Le Premier ministre français, Jean Castex (@Thomas COEX / AFP)

(actualisé le 12/07/2020)

Incroyable, la France a désormais un Premier ministre avec un accent ! Voilà donc le problème du précédent en fait : c’était plat, atone, sans aucune mélodie… Stop ! Ras-le-bol d’entendre ou de lire, en 2020, ces médias parisiens et ces citoyens sourire, parfois se moquer du français de Jean Costex, le nouveau Premier ministre français, fraîchement nommé par Emmanuel Macron. Pourquoi ces rires même pas dissimulés ? Parce que « cet inconnu » comme le désignait Libé au lendemain de sa nomination est un Gersois qui débarque à Paris en faisant un crochet par la municipalité catalane de Prade (dont il est maire). Et quand on arrive du Sud-Ouest de la France, eh bien, ô comme c’est bizarre, on ne parle pas « pointu ». On n’a pas l’accent de cette bourgeoisie parisienne qui, au nom d’un pseudo principe universel qui voudrait que leur réalité soit celle du monde, a imposé que le français normal, celui qu’il faut parler pour faire bien, pour grimper l’échelle sociale, est le sien. Un français imposé dans les médias, sauf quand il s’agit de faire de la jardinerie ou de la météo.

Attention ! le FLE ne réchappe pas à cette vision de la langue. On n’apprécie guère dans notre petit monde les documents audio qui n’auraient pas ces intonations dites « neutres », « sans accent ». Bref, plutôt que de sensibiliser les apprenants à la pluralité de la langue, on considère qu’ils doivent d’abord passer par une case qui serait considérée comme… plus utile ? plus simple ? C’est surtout du grand n’importe quoi ! Mais bien ancré dans nos traditions d’enseignement. Au nom de quoi ? Comme l’écrivait Sébastien Langevin, rédacteur en chef du Français dans le monde, « le français mérite un enseignement métissé, à l’image de sa pluralité » C’est vrai pour ses mots ; ça l’est aussi pour ses accents.

C’est tout de même incroyable que le français de Castex soit motif de causerie, de débat ou pis encore de raillerie ! C’est absolument lamentable et ça montre combien nous avons du mal en France à accepter la pluralité de la langue française, à commencer par cette pluralité hexagonale (un pochon, une poche plastique, un sac plastique ou tout simplement une poche désignent bien la même chose et sont tous aussi corrects à l’emploi, n’en déplaise à ceux qui se moque de moi quand je parle d’un « pochon » – eh oui, je suis à moitié Breton -).

Mais que dire de la pluralité du français au-delà de l’Hexagone ? Malheureusement, elle n’a encore une place qu’anecdotique dans les médias ou dans l’enseignement de notre langue, même si les choses s’améliorent. Quant à ces coqs railleurs qui ne savent certainement pas grand-chose sur ce qu’est une langue mais sont si fiers de LEUR français, ils devraient savoir que si notre langue a un avenir, ce ne sera qu’à travers la pluralité de ses mots, de sa syntaxe et de ses accents. Il est temps de mettre fin à cette glottophobie ambiante, pour reprendre le terme du linguiste Philippe Blanchet. Un sujet que j’évoquais déjà dans ce blog en novembre 2017 et que je vous invite à relire. Le nouveau résident de Matignon contribuera-t-il à suivre les voies de la pluralité ou sera-t-il contraint de se plier au diktat de l’accent pointu ?

A écouter

Jean-Michel Aphatie : peut-on se permettre d’avoir un accent dans les médias ? https://www.franceinter.fr/emissions/l-instant-m/l-instant-m-02-septembre-2020

A lire

La pluralité de la langue française contre la glottophobie (encore trop) ambiante ! (nov. 2017)

Aphatie, J.-M. et Feltin-Palas, M. : J’ai un accent, et alors ? Ed. Michel Lafon : Paris, 2020

Blanchet, P. : Discriminations : combattre la glottophobie. Éd. Textuel. Coll. Petite Encyclopédie critique : Paris, 2016

Il a accent, et alors ? par Mathieu Avanzi (publié le 4 juillet 2020)

Qu’est-ce que la glottophobie, la discrimination dont est victime Jean Castex ? CNEWS (publié le 6 juillet 2020)

Discrimination à l’accent : pourquoi tant de haine ? article de Frédéric Abéla, paru dans La dépêche du Midi (12/07/2020). A remarquer que, contrairement à ce qu’écrit le journaliste, il ne s’agit pas d' »un combat du Nord contre le Sud » mais de celui de toutes les variantes du français contre le parlé « normé ».

A suivre :

@MathieuAvanzi

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La pluralité de la langue française contre la glottophobie (encore trop) ambiante !

Posted by Philippe Liria sur 30/11/2017

Le président Emmanuel Macron lors de son discours à l’université de Ouagadougou, 28 novembre 2017. Source: AFP / LUDOVIC MARIN

Il a un drôle d’accent, ce gars-là !” interprétait Pierre Vassiliu dans les années 70. Ah les accents ! Pas ceux qui coiffent nos lettres, non ! Mais ceux qui donnent un ton à nos voix. Ceux-là que certains veulent encore chasser mais qui reviennent au galop dès qu’on se retrouve en contact avec quelqu’un qui a justement le même… Et qu’en est-il de ces accents dans nos classes ? L’autre jour, à l’occasion d’un atelier, une collègue enseignante a insisté sur l’importance que les apprenants apprennent à parler un bon français, “sans accent” disait-elle. Un autre se plaignait de l’influence qu’avait laissé un enseignant sénégalais sur les élèves qu’il avait récupérés : “Ils ne savaient pas prononcer correctement le français !”, se plaignait-il.
Pourtant si nous voulons prendre aux mots le président de la République française qui revendique une langue française qui n’appartient plus à la France, il faudra bien que nous nous ouvrions réellement à la pluralité de notre langue, y compris dans ses prononciations. Je ne fais pas référence seulement aux variétés hexagonales de celle-ci mais bien à cet éventail d’accents, largement déployé de Nord à Sud et d’Est en Ouest de la planète. Le temps est révolu – n’est-ce pas ? – où les accents du sud (de la France) devaient disparaître sous le poids écrasant de cet accent pointu des gens de la télé ou de la politique… à moins bien sûr de présenter la météo ou d’être une grande gueule de l’hémicycle parlementaire. De même, le français d’Haïti ou de Tunisie, celui de Côte d’Ivoire ou du Liban ou encore de Maurice ou de Nouvelle Calédonie ont droit à la même place que l’accent bobo des médias parisiens. Pourquoi le français serait-il différent de l’anglais ou de l’espagnol ? Ces deux langues ne chassent pas les accents, ni dans la vie ni dans les salles de cours… A part peut-être quelques coincés à l’accent pincé des hauts quartiers londoniens ou madrilènes, aucun professeur d’anglais ou d’espagnol ne cherche à faire prononcer les mots ou reproduire les rythmes de la phrase selon un modèle unique qui serait basé sur une soi-disant “bonne langue” par rapport à toutes les variétés de celle-ci. Et heureusement ! Je préfère en effet ne même pas imaginer un professeur argentin d’espagnol essayant de faire parler un castillan de Palencia à son élève apprenant la langue de Borges au coeur de Buenos Aires. Ce serait tout aussi ridicule que de vouloir s’obstiner à faire employer un subjonctif de l’imparfait en français.
Un professeur haïtien de français (qui n’était pas un professeur de français haïtien) que j’ai récemment rencontré a pourtant voulu me convaincre du contraire et il insistait dans son français (celui d’Haïti) qu’il faisait tout pour que ses élèves parlent un français… de France. Est-ce vraiment raisonnable ? En quoi son français serait-il moins légitime que le mien ? Et pourtant… Si on observe la place des autres façons de parler notre langue par rapport à la variante française dominante dans l’enseignement du FLE, force est de constater que nous leur réservons un espace infime. Sans le vouloir certainement, nous – ceux qui parlons ce français de France, plutôt du Nord – posons un regard beaucoup trop condescendant sur ces autres français. L’espace FLE n’en réchappe guère. Nous pratiquons la glottophobie, cette discrimination exercée envers une personne pour sa façon de parler selon la définition que donne le sociolinguiste Philippe Blanchet. Il suffit d’ouvrir la plupart des ouvrages FLE pour se rendre compte que souvent la différence d’accents n’est présente que dans des rubriques presque réservées à cet usage. En général, elle l’est quand nous abordons la Francophonie dans ces fameuses pages civilisationnelles. C’est alors l’occasion d’introduire quelques mots ou expressions typiques de Belgique ou du Canada, de préférence du Québec. Puis nous tournons la page et passons à autre chose. Des exceptions existent en FLE mais elles ne sont que trop rares (je pense à Echo Amérique du Nord par exemple chez CLE International). Il semblerait aussi que pour des épreuves officielles comme celle du DELF, il vaut mieux que les locuteurs choisis dans les documents s’expriment dans un français standard. Ce serait plus facile. Pour qui ? Et ceux qui s’expriment dans un autre français que cette version dite “standard” ? Seconde zone ? A la trappe ? J’ai personnellement dû effacer de mon lexique les “pochons” (sacs plastiques), les “crayons gris” (crayons à papier), les “tantôts” (après-midi) et bien d’autres mots et locutions pour passer inaperçu. Mais il paraît que je ne pouvais pas enseigner un tel lexique à mes étudiants. On sait qu’il y a des discriminations à l’emploi sur certains postes, toujours pour les mêmes raisons. La glottophobie n’est pas qu’une affaire d’accent, elle a des conséquences sociales graves. Regrettable !
Il serait toutefois temps de commencer à changer cette perspective. Peut-il en être autrement ? Il suffit d’observer les chiffres de la Francophonie pour s’apercevoir que ce n’est pas en France qu’on trouve le plus de locuteurs francophones. Le président Macron ne défend-il pas un espace francophone avec l’Afrique à sa tête. Le continent africain est depuis longtemps déjà une priorité pour les responsables du français et il semblerait logique par conséquent que l’enseignement de la langue prenne véritablement en compte cette réalité. Difficile pour les professeurs de FLE venus de France ? C’est vrai. Ils devront / Nous devrons se / nous mettre à connaître d’autres prononciations de la langue, d’autres mots et d’autres expressions. Mais n’est-il pas temps ? Pourquoi un professeur de l’Ontario ou d’Abidjan devrait-il connaître la variante française et pas l’inverse ? L’enseignement du FLE ne pourra ignorer les variantes de la langue car celle-ci, comme l’a déclaré Emmanuel Macron, « (…) a son point d’équilibre quelque part entre Kinshasa et Brazzaville, bien plus qu’entre Paris et Montauban. Cette langue française a dépassé l’Hexagone, elle a parcouru le monde entier et elle est ce qui nous unit. » Mais elle ne doit pas unir dans le mépris de l’autre, de celui qui parle différemment. Une langue est justement vivante parce qu’elle évolue dans le temps – Molière en perdrait sa perruque à nous entendre, tous d’où qu’on vienne – et dans l’espace comme me l’ont fait si bien voir mes amis du Canada, d’Haïti, d’Afrique ou du Liban. Au monde du FLE aussi de savoir faire vivre cette richesse dans son enseignement et ses outils.

Pour en savoir plus sur la glottophobie:
Philippe Blanchet, Discriminations : combattre la glottophobie
Paris, Éd. Textuel, coll. Petite Encyclopédie critique, 2016, 192 pages (lire la fiche de lecture: Question de communication)

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