Le blog de Philippe Liria

Auteur, formateur, consultant et éditeur de français langue étrangère (FLE)

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Francophones du monde entier…

Posted by Philippe Liria sur 23/09/2021

La France n’est pas à une contradiction près : elle peut tout faire pour détruire ses propres langues, dont il ne reste d’ailleurs plus grand-chose tant l’État s’est employé à les anéantir ; dans le même temps, elle vante ici et là les mérites du plurilinguisme, surtout si c’est ailleurs ; en tout cas, surtout pas sur son territoire. J’avais abordé cette question au mois de mai. Michel Feltin-Palas revient dessus dans un article publié dans le nº436 du Français dans le monde (FDLM). Selon le Conseil constitutionnel, l’enseignement immersif serait mauvais pour la santé des gamins. On se demande alors pourquoi c’est ce même enseignement immersif que le ministère de l’Éducation français met en avant quand il se réjouit de l’ouverture de classes bilingues un peu partout dans le monde. A ce sujet, lisez l’excellent Recherches et application de cet été (nº70).

Face à cette énième offensive contre nos autres langues de France, essayons de rester zen et de se dire qu’il y a aussi des choses positives qui se passent comme c’est le cas avec ce Dictionnaire des francophones (DDF)qui fait l’objet d’un dossier dans ce même numéro du FDLM. Voilà une initiative qui s’inscrit clairement dans cet esprit d’en finir avec une langue française trop franco-centrée. On ouvre enfin portes et fenêtres pour laisser entrer non pas la mais les francophonies dans toute leur dimension. Il était temps ! L’anglais ou l’espagnol n’ont pas attendu le 21e siècle pour en finir avec une vision étriquée de la langue. Ce DDF est donc le bienvenu mais au fait,  de quoi s’agit-il ? Voici comment son site présente le projet :

c’est “un dictionnaire collaboratif numérique ouvert qui a pour objectif de rendre compte de la richesse du français parlé au sein de l’espace francophone. C’est un projet institutionnel novateur qui présente à la fois une partie de consultation au sein de laquelle sont compilées plusieurs ressources lexicographiques, et une partie participative pour développer les mots et faire vivre la langue française.« 

Ses concepteurs mettent particulièrement en avant deux aspects fondamentaux et qui le différencient d’un dictionnaire traditionnel : le numérique et le collaboratif. Il faudrait aussi y ajouter celui de rendre compte de la langue française telle qu’elle est employée, où que ce soit dans l’espace francophone. Le DDF ne prétend pas établir une norme mais plutôt de refléter à tout moment la langue française dans toute sa pluralité, dans toutes ses variantes sans aucune hiérarchisation. Bref, il s’agit de considérer le français non plus comme une langue territorialisée – ce qu’elle n’est plus depuis longtemps – mais plutôt comme une langue-monde. C’est aussi pour cette raison que pour exister, le DDF ne peut s’appuyer sur un groupe d’experts qui décideraient des entrées admissibles et celles qui devraient rester dehors, comme ce serait le cas de l’Académie française. Il doit nécessairement s’appuyer sur les utilisateurs. Pour Bernard Cerquiglini, président du conseil scientifique du DDF, c’est un “pari”, celui “qui nécessite équilibre et ajustement, de libre contribution par tous dans un esprit wiki mais avec un regard scientifique”, déclare-t-il dans un entretien au Français dans le monde de septembre 2021 (cf. Dossier Dictionnaire des francophones espace numérique et outil citoyen).

Certes le DDF ne part pas de zéro. Il s’appuie sur de nombreuses ressources décrites dans la description du projet mais c’est certainement l’aspect participatif qui en fera un outil vivant, à condition bien sûr que les utilisateurs ne forment pas simplement un “lectorat” mais deviennent un “contributorat” : il faut qu’ils s’en approprient pour l’enrichir, fournir des exemples ou nuancer des sens ou des usages. En quelque sorte, le souhait est de faire qu’un outil né d’une intention politique, dont Emmanuel Macron est à l’origine, ne soit pas simplement un objet institutionnel mais bien un outil citoyen du vaste espace francophone, qu’il contribue à créer un véritable sentiment d’appartenance à une communauté plurielle, plurilingue et multiculturelle répartie un peu partout dans le monde. 

Pour en savoir plus :

Dictionnaire des francophones https://www.dictionnairedesfrancophones.org/

Français dans le monde https://www.fdlm.org/

Testez vos connaissances sur la francophonie : https://create.kahoot.it/share/testez-vos-connaissances-sur-la-francophonie/31c98096-1cf4-492b-9d04-dbf29f28771b

Sur le bout des langues : https://www.lexpress.fr/region/sur-les-bout-des-langues-langues-francaise-et-regionales_2032767.html

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Paris choqué : le nouveau Premier ministre ne parle pas pointu !

Posted by Philippe Liria sur 06/07/2020

Le Premier ministre français, Jean Castex (@Thomas COEX / AFP)

(actualisé le 12/07/2020)

Incroyable, la France a désormais un Premier ministre avec un accent ! Voilà donc le problème du précédent en fait : c’était plat, atone, sans aucune mélodie… Stop ! Ras-le-bol d’entendre ou de lire, en 2020, ces médias parisiens et ces citoyens sourire, parfois se moquer du français de Jean Costex, le nouveau Premier ministre français, fraîchement nommé par Emmanuel Macron. Pourquoi ces rires même pas dissimulés ? Parce que « cet inconnu » comme le désignait Libé au lendemain de sa nomination est un Gersois qui débarque à Paris en faisant un crochet par la municipalité catalane de Prade (dont il est maire). Et quand on arrive du Sud-Ouest de la France, eh bien, ô comme c’est bizarre, on ne parle pas « pointu ». On n’a pas l’accent de cette bourgeoisie parisienne qui, au nom d’un pseudo principe universel qui voudrait que leur réalité soit celle du monde, a imposé que le français normal, celui qu’il faut parler pour faire bien, pour grimper l’échelle sociale, est le sien. Un français imposé dans les médias, sauf quand il s’agit de faire de la jardinerie ou de la météo.

Attention ! le FLE ne réchappe pas à cette vision de la langue. On n’apprécie guère dans notre petit monde les documents audio qui n’auraient pas ces intonations dites « neutres », « sans accent ». Bref, plutôt que de sensibiliser les apprenants à la pluralité de la langue, on considère qu’ils doivent d’abord passer par une case qui serait considérée comme… plus utile ? plus simple ? C’est surtout du grand n’importe quoi ! Mais bien ancré dans nos traditions d’enseignement. Au nom de quoi ? Comme l’écrivait Sébastien Langevin, rédacteur en chef du Français dans le monde, « le français mérite un enseignement métissé, à l’image de sa pluralité » C’est vrai pour ses mots ; ça l’est aussi pour ses accents.

C’est tout de même incroyable que le français de Castex soit motif de causerie, de débat ou pis encore de raillerie ! C’est absolument lamentable et ça montre combien nous avons du mal en France à accepter la pluralité de la langue française, à commencer par cette pluralité hexagonale (un pochon, une poche plastique, un sac plastique ou tout simplement une poche désignent bien la même chose et sont tous aussi corrects à l’emploi, n’en déplaise à ceux qui se moque de moi quand je parle d’un « pochon » – eh oui, je suis à moitié Breton -).

Mais que dire de la pluralité du français au-delà de l’Hexagone ? Malheureusement, elle n’a encore une place qu’anecdotique dans les médias ou dans l’enseignement de notre langue, même si les choses s’améliorent. Quant à ces coqs railleurs qui ne savent certainement pas grand-chose sur ce qu’est une langue mais sont si fiers de LEUR français, ils devraient savoir que si notre langue a un avenir, ce ne sera qu’à travers la pluralité de ses mots, de sa syntaxe et de ses accents. Il est temps de mettre fin à cette glottophobie ambiante, pour reprendre le terme du linguiste Philippe Blanchet. Un sujet que j’évoquais déjà dans ce blog en novembre 2017 et que je vous invite à relire. Le nouveau résident de Matignon contribuera-t-il à suivre les voies de la pluralité ou sera-t-il contraint de se plier au diktat de l’accent pointu ?

A écouter

Jean-Michel Aphatie : peut-on se permettre d’avoir un accent dans les médias ? https://www.franceinter.fr/emissions/l-instant-m/l-instant-m-02-septembre-2020

A lire

La pluralité de la langue française contre la glottophobie (encore trop) ambiante ! (nov. 2017)

Aphatie, J.-M. et Feltin-Palas, M. : J’ai un accent, et alors ? Ed. Michel Lafon : Paris, 2020

Blanchet, P. : Discriminations : combattre la glottophobie. Éd. Textuel. Coll. Petite Encyclopédie critique : Paris, 2016

Il a accent, et alors ? par Mathieu Avanzi (publié le 4 juillet 2020)

Qu’est-ce que la glottophobie, la discrimination dont est victime Jean Castex ? CNEWS (publié le 6 juillet 2020)

Discrimination à l’accent : pourquoi tant de haine ? article de Frédéric Abéla, paru dans La dépêche du Midi (12/07/2020). A remarquer que, contrairement à ce qu’écrit le journaliste, il ne s’agit pas d' »un combat du Nord contre le Sud » mais de celui de toutes les variantes du français contre le parlé « normé ».

A suivre :

@MathieuAvanzi

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