Le blog de Philippe Liria

Auteur, formateur, consultant et éditeur de français langue étrangère (FLE)

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Quel statut pour le professeur FLE ?

Posted by Philippe Liria sur 16/08/2012

Je n’ai pas pu me rendre à Durban pour le 13e Congrès mondial de la FIPF. Je le regrette car ces rencontres qu’organise la fédération sont toujours l’occasion de retrouver des amis, professeurs, coordinateurs et autres professionnels du FLE venant d’un peu partout dans le monde. C’est un excellent moment pour prendre le pouls de la planète FLE. Les programmes de ces journées sont toujours plus alléchants les uns que les autres et celui de Durban ne manquait pas d’intérêt. Et puis, le fait même que le congrès mondial des professeurs de français soit organisé pour la première fois en Afrique, c’est véritablement un symbole : on sait que dans quelques années le continent africain sera l’aire francophone par excellence. Programme alléchant j’écrivais et c’est bien dommage de n’avoir pu y prendre part. Ce ne sera que partie remise. Cependant, une fois encore, il y a eu un grand absent, c’est le statut du professeurs de français. Je sais que les associations de professeurs locales luttent pour améliorer ce statut, mais souvent elles ont un pouvoir limité et se sentent souvent peu soutenues par les pouvoirs français en place et en charge de la politique du français. Et puis, ces associations sont souvent les représentantes des professeurs des réseaux publics locaux. Reste tout un pan d’enseignants, c’est la grande armée des professeurs de FLE qui le plus souvent parcourent le monde dans des conditions difficiles sinon précaires, sans avoir l’impression que la France ait vraiment l’intention de les soutenir alors qu’elle applaudit leur combat pour la langue et est bien contente d’en récolter les fruits. Car débattre pendant cinq jours sur nos métiers, ce devrait être aussi chercher à donner un vrai statut au professeur FLE, qu’il exerce en France ou n’importe où ailleurs dans le monde.
À la lecture des descriptions de poste, on constate très clairement la volonté des employeurs du réseau d’avoir dans leurs équipes enseignantes des professionnels hautement qualifiés. On ne peut que saluer cette politique qui contribue à accompagner un enseignement de qualité, indispensable pour garantir la satisfaction des élèves et donc leur motivation à poursuivre leur apprentissage. Indispensable pour que le centre, Institut ou Alliance, puisse assurer des entrées économiques conséquentes qui permettront non seulement de maintenir les cours mais aussi de mettre en place une politique culturelle de qualité. Donc rien à redire sur cette recherche de qualité qui doit, entre autres, reposer sur des professeurs formés. Pourtant, et toujours à la lumière des descriptions de poste, on peut s’interroger sur la possibilité – ou la véritable volonté – de constituer des équipes pédagogiques motivées. En effet, les missions souvent toutes plus passionnantes les unes que les autres sont accompagnées d’offres salariales qui frisent le ridicule. On me répliquera que la plupart des rétributions proposées sont au-dessus du niveau de vie locale ou du salaire minimum du pays de la mission. Il suffit de consulter l’incontournable site de l’Agence de promotion du FLE dans la rubrique « Offres d’emplois » pour se rendre compte des missions proposées au quatre coins du monde et des salaires souvent dérisoires qui les accompagnent. Certes, c’est souvent suffisant pour « prendre le taxi pour se rendre à l’Alliance » comme on peut le lire sur certaines annonces ou pour louer un petit appartement ou vivre en collocation avec d’autres professeurs de l’établissement. Ou encore que cela permet de « prendre son repas du midi sur place à un prix modique ». On oublie souvent que les conditions de travail ne sont pas toujours faciles, et je ne pense pas simplement aux questions sécuritaires pourtant omniprésentes quand on exerce dans certains pays dès qu’on sort d’Europe et de l’Amérique du nord.
Il ne s’agit pas, dans cette critique, d’accuser d’une certaine négligence le personnel des institutions employeuses car on sait qu’elles ne font qu’essayer de gérer au mieux les budgets qui leur sont alloués. Je connais suffisamment de directeurs d’Instituts ou d’Alliances pour savoir qu’ils sont sincères quand ils expliquent combien ils regrettent de ne pas pouvoir proposer de meilleures conditions à leurs professeurs. Je sais qu’ils sont parfaitement conscients du rôle que jouent ces femmes et ces hommes pour la diffusion de la langue et des cultures francophones malgré leurs conditions de travail, souvent ingrates. En fait, mon doigt pointe plutôt les Services culturels des ambassades ou plus directement le ministère des Affaires étrangères. Alors que les discours de chaque congrès ou colloque servent à ces responsables d’insister sur l’importance de langue française et sur la mission de ses agents de terrain- et je veux y lire ou entendre « ses professeurs », même si le mot n’apparait que rarement dans ces laïus -, la réalité nous montre que les enveloppes budgétaires maigrissent d’année en année, qu’aucun effort n’est fait pour que les institutions de terrain puissent vraiment mettre en place une politique d’enseignement de qualité – lisez « avec un personnel ayant un salaire digne à la hauteur de la mission » – qui doit être parallèle aux activités culturelles, nécessaires elles aussi au rayonnement de langue et de la culture. Mais celles-ci ne peuvent ni ne doivent aller sans celle-là. Or, la réalité est autre : on doit jongler de plus en plus au niveau local avec les entrées provenant des inscriptions pour faire du culturel et du pédagogique. Qui en pâtit les conséquences ? L’agent de terrain, le professeur. Pourtant, ce sont bel et bien ces professeurs qui forment cette armée de petits soldats qui grâce à leurs talents humains et pédagogiques savent séduire les élèves et les motiver à continuer. Si la motivation du professeur n’y est pas, comment motivera-t-il l’apprenant ? La médaille que pourra accrocher au revers de sa veste le ministre ou conseiller du moment n’est pas simplement et uniquement le fruit de sa politique pédagogique (?) globale – dans le cas le plus optimiste où il en existe une – mais aussi et surtout parce que des centaines de professeurs souvent payés à l’heure sous la direction de coordinateurs ou directeurs pédagogiques ou directeurs d’Alliance au contrat souvent (très) précaire (et presque tout le temps incertain) ont mené un combat pour que les élèves aient envie d’apprendre notre langue.
Il est donc temps que le statut de ces petits soldats, de ces O.S de l’enseignement soit revu et revalorisé. On ne peut prétendre que l’enseignement s’améliore qu’à coup d’achats de TNI. Comme on ne peut demander aux professeurs de passer des heures « gratuitement » à voir et revoir des programmations de cours pour mettre en place des pédagogies novatrices, à élaborer des activités de classe nouvelles et dynamiques, à utiliser toutes les ressources que les nouvelles technologies mettent à leur portée sans qu’il y ait aussi un accompagnement économique à la hauteur des prétentions de la France et des ses partenaires pour que notre langue continue à avoir sa place dans ce monde en marche. Prendre en compte cette réalité et se donner les moyens de la changer, c’est aussi contextualiser l’enseignement du français dans cette mondialisation.

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