Je me souviens encore d’un article lu dans le quotidien catalan La Vanguardia au sujet des Jeux sérieux (Serious games / serious plays), c’était en juin 2009 (Juegos serios, en espagnol). Le principe m’avait alors paru intéressant mais à l’époque, je n’imaginais pas la dimension que ces jeux sérieux allaient prendre, grâce notamment au développement des réseaux sociaux. Le sujet m’intéresse mais je le connais peu. J’ai donc demandé à une collègue et amie, Fatiha Chahi, de m’écrire un billet qui présente la ludification. Fatiha Chahi a été enseignante FLE et conceptrice de contenus sur plateforme. Spécialiste du numérique, elle est actuellement éditrice chez Le Bla-Lab.
Billet écrit par Fatiha Chahi, 01 décembre 2013.
La ludification est un phénomène qui prend de l’ampleur dans différents secteurs de notre société. C’est une tendance que l’on retrouve aussi bien dans le marketing que dans le monde de l’entreprise et du management. Le secteur de l’éducation est aussi concerné dont le FLE, qui n’est pas à l’écart de cette évolution.
Certains d’entre vous se demandent sûrement de quoi il s’agit. « Ludification » est le terme choisi en français pour traduire le mot anglais « gamification », de « game » (jeu), nom sous lequel on connaît aussi ce phénomène. On parle aussi de Social gaming. La ludification n’est pas toute jeune, elle remonte en fait au début des années 70. Il fallait s’y attendre, c’est l’armée américaine qui l’a développée. Ce n’est pourtant que depuis les premières années de ce siècle qu’elle a pris de l’ampleur avec la généralisation d’Internet et plus encore des réseaux sociaux. Comme son nom l’indique, il s’agit de rendre ludique quelque chose qui a priori ne l’est pas. C’est pourquoi on parle d’ailleurs aussi de « jeux sérieux ». Et cette transposition doit permettre d’améliorer des processus de travail mais aussi, et c’est ce qui nous intéresse, d’acquisition de connaissances et de savoir-faire.
Les points essentiels empruntés au jeu vidéo sont les suivants :
– L’affichage d’une barre de progression
– La présence de tableaux de scores.
– La progression par niveaux de difficulté
– L’interface graphique empruntée aux jeux vidéo
– L’obtention d’un trophée, d’un badge, d’une récompense
Un outil marketing au service de l’entreprise
Avant de voir ce qui ce fait dans le monde de l’éducation, observons ce qui se passe dans celui de l’entreprise puisque c’est là que la ludification est certainement le plus présent, véritable outil de marketing interne et externe. Des entreprises, comme SAP, l’utilisent dans le cadre du management, pour sensibiliser leurs employés à l’écologie et améliorer leur responsabilité sociale. En effet, les employés qui s’impliquent dans des projets écologiques gagnent des seeds (graines). Il y a un classement des meilleurs scores, interne à l’entreprise, mettant en concurrence les différents départements de l’organisation. On retrouve bien ici la dynamique du jeu.
Il en va de même avec les voyages et séjours organisés par les entreprises (comme AXA par exemple) pour récompenser les meilleures performances et les meilleurs résultats de l’année parmi les employés.
Ribbon hero 2
Microsoft propose de son côté
Ribbon Hero 2, un jeu permettant aux utilisateurs d’apprendre à utiliser au mieux la suite Office. L’interface est donc gamifiée et le « joueur » (en général un employé ayant un réel besoin et non pas une réelle envie) remplit des missions qui lui permettent de passer au niveau supérieur. À chaque mission, il acquiert de nouvelles compétences dans l’utilisation de l’outil.
De nombreuses entreprises utilisent la
ludification dans leurs campagnes publicitaires. Les réseaux sociaux amplifient le phénomène et permettent un véritable marketing viral pour les marques.
Nike possède ainsi une application Facebook qui permet d’échanger des baskets virtuelles, de retracer l’histoire de la marque à travers ses produits phares et d’observer en temps réel les échanges de baskets à travers le monde. La collection du joueur est virtuelle mais l’effet marketing est lui, bien réel.
Si la ludification sert l’entreprise, qu’en est-il des employés ?
L’Oréal recrute à travers le jeu Reveal.
Depuis 2011, L’Oréal recrute ses stagiaires grâce à l’un de ces jeux :
Reveal, une application à partir de laquelle les candidats évoluent dans l’univers de l’entreprise et doivent résoudre des problèmes pour gagner des points et passer ainsi au niveau suivant. Pour y parvenir, ils doivent faire preuve de rapidité et prouver, à travers des jeux, leur bonne connaissance de l’univers de la marque. Ils augmentent aussi leur chance en captant de nouveaux clients potentiels à travers les réseaux sociaux. Pour L’Oréal, le bénéfice est double : recruter des stagiaires et communiquer (en faisant le buzz).
Et dans l’enseignement des langues ?
Des jeux sérieux existent dans le domaine de l’enseignement-apprentissage des langues vivantes:
Le jeu Thélème est présenté sur sa page web comme un « jeu en ligne massivement multi-participants. Les joueurs sont immergés dans un univers visuel interactif dans lequel ils réalisent des quêtes ludiques dans la langue d’apprentissage. Ils y rencontrent d’autres participants, allophones ou francophones, avec lesquels ils peuvent s’allier, combattre, échanger, négocier… et le faire en français ». Le jeu allie l’aspect ludique, l’activité sociale ainsi que la pratique et l’apprentissage du français.
« Speak French or die » est le slogan de Thélème
Se présentant comme le premier véritable jeu sérieux pour apprendre le français,
Les Éonautes est un autre jeu de cette catégorie, conçu par la même équipe, destiné aux apprenants de FLE (la communauté des joueurs de Thélème étant plus ouverte et large), il transporte le joueur dans différentes époques de l’histoire de France, celui-ci part à la recherche d’informations, répond à des énigmes et interagit avec des avatars.
Les éonautes – vidéo de présentation
Il existe d’autres outils qui ludifient la classe tels que
ClassDojo. L’idée est toujours de se servir des mécaniques du jeu à des fins pédagogiques. Le logiciel de gestion de comportements se propose d’accroître l’engagement des élèves à travers un système de récompenses (sous forme de points et de messages). Les apprenants ont tous un profil, ils reçoivent des
feedbacks positifs ou négatifs (pour la participation, le travail de groupe, le bavardage…).
Babble planet offre un univers graphique ludique et esthétique. Cet outil français sert à l’apprentissage de l’anglais pour les enfants et offre des
feedbacks instantanés en fonction de la prononciation (l’image du mot prononcé est plus ou moins nette selon la qualité de la prononciation de l’enfant).
Pour les cours en présentiel, il existe également beaucoup d’applications ludiques permettant d’enrichir le cours de langue. Beaucoup sont anglais mais peuvent s’utiliser en classe de FLE. C’est le cas de l’application Triptico (du britannique David Riley) offrant une batterie de petits outils allant du compteur de points au chronomètre en passant par des outils de gestion de groupes et d’autres applications pour créer de véritables activités pédagogiques. Le site Classtools.net offre la possibilité de créer des activités pour travailler différentes compétences de façon ludique, allant du jeu d’arcade à l’utilisation des QRCode.
Ne pas perdre de vue les objectifs d’enseignement/apprentissage
Tous ces outils sont fascinants et il n’est pas rare de voir le côté attractif et motivant qu’ils dégagent lorsqu’on les utilise dans nos classes, le résultat est encore plus probant avec ladite Génération Y. Ils peuvent être un véritable adjuvant dans notre enseignement car ils offrent la possibilité de proposer une autre perspective au moment de travailler diverses compétences. Bien entendu, il faut être conscient qu’on ne va pas ludifier l’éducation mais simplement permettre aux apprenants et aux enseignants, de façon ponctuelle, de travailler différemment. Il faut faire attention à ne pas oublier les objectifs réels de l’apprentissage au profit du jeu. L’éducation entièrement ludifiée ne me semble pas souhaitable mais le fait d’allier le jeu et les technologies à une véritable réflexion pédagogique peut permettre de faire naître des outils améliorant l’enseignement-apprentissage des langues vivantes et du FLE en particulier.
*Sources : Une partie de l’information sur la ludification dans le monde de l’entreprise contenue dans ce billet provient du site gamificator.
Pour aller plus loin :
The serious side of playing games – learning world (en anglais)
La même chose mais sous-titré en français.
Les jeux sérieux : s’investir dans de nouvelles pratiques
Quel(s) type(s) de jeux sérieux pour la formation ?
Les Serious games, ou la pédagogie par le jeu
Serious game et apprentissage collaboratif : savoir-faire et savoir devenir
Le pearltree des jeux sérieux d’Alain Bolli